Choc des générations : les funambules de l’emploi

Patron trentenaire, Nicolas (au centre) a du adapter son management aux salariés, du plus jeune au plus âgé. (Photo : Patrice Deschamps)
Les 22-35 ans réinventent les rapports dans l’entreprise. Cette génération Y, plus que réactive, n’en demeure pas moins compliquée à saisir pour bon nombre de dirigeants. Car toujours sur le fil…
À l’origine était (déjà) le fil. Leur génération a grandi avec des écouteurs entre les oreilles qui ont, de face ou de dos, figé la forme de la vingt-cinquième lettre de l’alphabet, de la tête à la poche du pantalon taille basse.
Ces groupes, qui s’installent progressivement dans le monde du travail, ne quittent plus jamais le portable, l’IPad. Ils surfent à tout va, entre agilité et équilibre. Les scientifiques les identifient à une cohorte originale et démarquée. Quand on les interroge sur leurs motivations, ils répondent que c’est pour le sentiment grisant de savoir s’ils vont tenir ou tomber. Et, ajoute Valérie-Anne Puglia de l’institut Ipsos, « avec l’impression de puissance procurée par cet exercice de concentration qui fait travailler la tête et tous les muscles du corps ».
Décomplexés avec l’autorité
En France, la génération Y compte 13 millions de personnes, soit 20 % de la population, plus nombreuse que la génération X précédente (née entre 1959 et 1977). De quoi interroger dirigeants et managers qui ne se laissent pas pour autant déborder, les uns avec plus de facilités que d’autres. Les études, menées à l’échelle de l’Indre-et-Loire par le laboratoire de recherches en management des universités de Tours et d’Orléans, montrent que l’encadrement prend très doucement conscience de l’évolution de leur comportement au travail. 50 % de l’échantillon des cadres interrogés se disent encore attentistes. 30 % sont convaincus de prendre en compte cette génération Y. 10 % affichent leur scepticisme sur de réels changements d’organisation interne ou d’influence. 10 % ont enfin engagé l’adaptation, conscients de l’accompagner avec innovation. C’est le cas à EDF où la moitié des conseillers clientèles a moins de 30 ans. « La pratique managériale a évolué. On a diminué la taille des équipes pour que ces jeunes – 45% de l’effectif – se sentent reconnus… », souligne Vincent Robert, leur responsable. « La notion de hiérarchie ne se pose plus comme avant. La légitimité du supérieur passe par plus de proximité… ».
Long. Précis. Contradictoire : ce portrait générationnel recèle des clichés, dans le sens où l’image se répète, se re-père. « Ces 22-35 ans ne sont pas fondamentalement différents sauf sur un point essentiel. Ils (elles) expriment leurs attentes de manière totalement nouvelle et déconcertante », examine Franck Brillet, universitaire (lire page xxx). L’usage de plus en plus effréné des nouvelles technologies leur donne une agilité d’adaptation. Le responsable, ou simple salarié, de plus de 50 ans peut en témoigner : son « jeune » collègue apporte une nouvelle forme de diversité et de rapports au travail.
Les “ z ” à la pointe
de l’épée…
Il y aurait cependant la tentation – consciente ou inconsciente – du pire. Ipsos avance en effet une autre « agilité » à contrôler l’autorité des aînés. Nés d’une génération qui les a désirés, voire choyés et qui a surtout été la première à les élever avec une éducation libérale, les Y ont un rapport décomplexé avec leurs supérieurs. Ils sont « contents de la façon avec laquelle ils ont été éduqués et sont en même temps très habiles pour gérer, quand nécessaire, les injonctions parentales », selon l’Insee. Voire celles de leur(s) patron(s).
Mais attention ! La guerre des talents a commencé. Grand témoin de cette enquête, Benjamin Chaminade prévient : « Les Y ont plus à craindre des Z, c’est-à-dire de ceux qui sont nés à partir de 1998. » Conçus juste avant, pendant ou après la mémorable Coupe du monde de football remportée par l’équipe de France (Deschamps, Zidane…), les « émos » – à cause de leur hyperémotivité – préparent leur débarquement. « Ils vont sur-réagir », promet Franck Brillet. Admettons-le : la question de l’unité de l’entreprise est posée. Ils sont Z comme « Zéro défaut, Zéro carbone, Zéro déchet ». Et en même temps C comme connectés, communicateurs et collaborateurs. « Leurs modes d’expression demandent de l’ouverture d’esprit et du management plus souple », avertit encore Franck Brillet en fin observateur.
Rapports d’égal à égal
Re-pères. Le « filia » – notion d’égal à égal, de réciprocité – est entré dans l’entreprise. Les moyens de bosser ensemble se font à la carte, entre sentiments, devoirs et engagements. Le salariat change et déboussole parfois les syndicats : « Les choses bougent. Ainsi dans un secteur aussi spécifique que les assistantes maternelles, le taux de syndicalisation est identique à celui de l’Ile-de-France ». Les ouvriers et employés sont en passe de devenir minoritaires. C’est une donnée que nous devons prendre en compte. Nous avons aussi des efforts à faire pour être plus présents dans le monde de la sous-traitance qui regroupe de plus en plus de salariés », explique Stéphane Deplobin (CGT). A contrario, les « pigeons » réunis en collectifs éphémères ou les « bonnets rouges » crèvent l’écran.
Envie d’avenir et de reconnaissance ? Ces préoccupations sont, au final, celles des funambules de l’emploi, toutes générations confondues.