Entreprises familiales : l’histoire en héritage
Des pionniers aux héritiers, l’économie a traversé des siècles ou des décennies heureuses ou avortées avec des familles. De l’artisanat au capitalisme 3.0.
Une économie en héritage pour tous. De Mame à la start-up numérique E-Stoires récemment créée, des tanneries disparues aux soieries survivantes confrontées à la concurrence (chinoise par exemple), des propriétés séculaires aux vignobles derniers crus, l’activité commerciale change de mains et de moyens, au gré des révolutions industrielles ou mutations technologiques, des apports financiers extérieurs, des connaissances et des compétences, du degré d’audace de l’héritier, de la demande sans doute d’abord et des éducations aussi. D’un certain état d’esprit enfin et d’une vision d’avenir.
Ces entreprises familiales tourangelles – qui sont entrées dans l’histoire – l’ont d’abord été dans la durée, sur des parts de marché sans cesse malmenées par le temps et l’argent : le papier, les cuirs, la soie, l’automobile, la fonderie. Une, deux puis trois générations et puis s’en vont pour la plupart. C’est un peu comme la maison de famille que l’on divise par deux enfants, puis par six petits-enfants, les uns bercés plus proches que d’autres aux chants de la réussite patrimoniale. Quoi de pire, dans la majorité des cas, que l’indivision courante au fil du temps. Les uns vendent leur part, désintéressés parce qu’éloignés ou investisseurs ailleurs. Les autres sont incapables de supporter les charges et de transmettre à leur descendance une gestion qu’ils ne sont pas eux-mêmes capables d’organiser. Et vendent. Parfois à des étrangers peu scrupuleux. Parfois à des repreneurs soucieux de conserver l’esprit de famille et des traditions. Une vraie chance alors. Cela existe et vaut encore pour l’entreprise comme pour la propriété secondaire héritée de père en fils ou de mère en fille. Mais pour combien de temps ? Sursis ou pérennité ? La dernière lignée résiste sans souvent savoir qui prendra le témoin. Le nom reste alors ou pas. Hélas ou pas !
« Je n’aurai pas supporté de voir la soierie tomber dans d’autres mains extérieures » témoigne Antoinette Roze, particulièrement attachée au savoir-faire modernisé par son père et inspiré par un aïeul particulièrement audacieux à l’heure de la Révolution française et des changements de consommation qui s’ensuivirent. (Lire page…). « Il est important que l’entreprise reste dans la famille pour transmettre une tradition unique. On fait partie de l’histoire locale. Ca enracine » insiste Catherine de Colbert, héritière avec ses frères de la Cartonnerie Oudin de Truyes, transmise par son père et avant lui, les femmes de la dynastie.
État d’esprit ou signes des temps ? Pour Claude Chéron, les jeunes chefs d’entreprise qui réussissent dans le numérique n’ont plus la volonté de transmettre, fût-t-elle à des héritiers, mais bien de revendre l’entreprise et son concept au meilleur prix.
Transmettre à tout prix ou vendre au plus offrant
Ce changement de mentalité serait l’empreinte dans la génération Y des nouveaux cadres qui, parce qu’ils croient détenir le bon produit dans la niche innovante, se croient légitime d’entreprendre pour spéculer. C’est d’ailleurs exactement le discours que vient tenir le grand témoin de cette enquête. L’éditorialiste au Monde Économique Philippe Escande, invité du rendez-vous du réseau Carnet Pro organisé par le groupe La Nouvelle République à Tours, aborde le « capitalisme 3.0 », ou l’hégémonie des plateformes Google, Amazone et autres Uber qui véhiculent des formes d’empires de déréglementations des usages et du travail : « On a remis en cause le salariat et les frontières de l’entreprise. Le côté tentaculaire leur donne les attributs de la puissance » affirme le journaliste qui pense qu’à terme, entreprises traditionnelles, familiales ou non, composeront ensemble de nouveaux modèles économiques.
Des start-up d’autrefois ont grandi, prospéré et transmises.
Que sera demain ? On peut s’autoriser à penser que l’histoire, puisqu’elle façonne les bassins et les activités modernisés d’aujourd’hui, de Tours aux vignobles, des industries castelrenaudaises au Lochois, continuera de se conjuguer avec les futurs. Aurait-on imaginé sous François 1er, Catherine de Médicis ou Louise de Lorraine que les châteaux de Chambord et de Chenonceaux deviennent, entre autre exemple, les vecteurs principaux d’une économie qui n’existaient pas à leur époque : le tourisme. Ce qui fait aujourd’hui cohabiter, juxtaposer et croiser l’histoire et l’attractivité de nos territoires avec Facebook, Google, consort et les entreprises locales.