L’histoire
C’est un journal du week-end, au lendemain d’un jour férié. Le lendemain d’un 11 novembre de l’immédiat après-guerre. Comme d’habitude, une bonne quinzaine de titres s’enchevêtrent en première page de la Nouvelle République. Le lecteur de l’époque retiendra probablement qu’il peut ENFIN, répondre à la première question du Grand concours des fables de La Fontaine doté de trois millions de francs. Il ne manquera pas le graphisme étoilé annonçant un aéro-reportage (sic) au-dessus de l’Amérique.
Mais il oubliera le petit texte en « bandeau » au dessus du titre qui dit très simplement : « Page 8, première bande dessinée, le Capitaine Fracasse ». Il l’oubliera d’autant plus que les jours qui ont précédé ce week-end, la NR a présenté à « ses jeunes lecteurs », le Capitaine Fracasse comme une « série illustrée tirée du célèbre roman de cape et d’épée de Théophile Gautier ». Sans la moindre allusion d’ailleurs, au dessinateur, Robert Bressy.
Pourtant, il y a un hic. Ce sont bien les mots « bande dessinée » qui s’inscrivent là. Or, nous sommes en 1949. Les 12 et 13 novembre 1949. Et, en 1949, PERSONNE, non personne, n’a JAMAIS utilisé dans la presse française, l’expression (évidente aujourd’hui) de « bande dessinée ». Bigre, voilà que la NR flirte avec la grande histoire du neuvième art. On disait couramment « série illustrée », voire « histoire illustrée ». Mais « bande dessinée », non. Probablement parce qu’en France, les auteurs de l’époque travaillaient essentiellement par planches.
Deux grands spécialistes de la chose, Patrick Gaumer et Claude Moliterni sont d’accord pour reconnaître (ils l’ont écrit dans un de leur dico*) que c’est bien dans la NR que l’on va voir figurer l’une des toutes premières formulations. Avant eux, Alain Beyrand l’avait déjà souligné dans son « Catalogue encyclopédique »* (peut-être même était-il le premier à l’avoir fait). Seul précédent connu (et pas du tout formel), Paul Winkler, le patron de France-Soir, celui qui avait fait débarquer Mickey dans l’hexagone avant-guerre, aurait utilisé l’association de ces deux mots dans certains contrats d’Opera Mundi mais pas dans ses journaux. Et encore moins dans des quotidiens régionaux.
Dernier point de cette longue curiosité éditoriale. Pourquoi et qui à la NR ? Qui a inventé « bande dessinée « ? Enigme à la tourangelle. La seule réponse plausible vaut qu’on se tourne vers le studio de dessin du journal, chargé à la fois de la pub maison et du graphisme. Et peut-être vers le maître des lieux, Emile Jaquemin, qui dessinera lui-même des histoires en bandes verticales. Aurait-il vu les deux mots associés sur le contrat de Robert Bressy ? C’est une simple hypothèse. Mais qu’en 24 heures, à la Une de la Nouvelle République, on passe de « votre série illustrée » à « première bande dessinée », il y a là un joli mystère – historique qui plus est ! – qui valait la peine d’être conté. A défaut d’être éclairci !
(*Patrick Gaumer/Claude Moliterni in « Dictionnaire mondial de la bande dessinée ». Ed. Larousse – 1998 – Page 50/ Alain Beyrand in « De Lariflette à Janique Aimé ». SIBD-SPQR-Pressibus – 1995 – Page 9 )
Pour être complet, et puisque Case Départ s’amuse aussi à jouer les profs, quelle est donc l’origine de l’expression « 9e art » qui est l’autre formulation de BD ? Réponse, votre honneur : elle viendrait du tandem Maurice de Bévère (dit Morris, le dessinateur de Lucky Luke) et Pierre Vankeer, un passionné de BD qui le 17 décembre 1964, dans Spirou, vont créer une rubrique intitulée : « Neuvième art, musée de la bande dessinée ». Mais l’illustre Francis Lacassin pourrait également en revendiquer la paternité : à l’issue d’une discussion justement avec Morris qui lui proposait le formule « 8e art », le créateur (en 1962) du Club de la bande dessinée(CBD) répliqua « que le 8e art, c’était la télévision et que la BD était donc le 9e ». Dont acte. Laissons les spécialistes décerner les brevets de primauté.
L’auteur
Robert Bressy (1924…).
Tout ce tintouin historique fait un peu de l’ombre au dessinateur de Fracasse. Dommage. Car Robert Bressy est un monument de la BD d’après-guerre. De cette BD présente partout dans les quotidiens nationaux et régionaux mais très rarement publiée sous forme d’albums. En 2004, pour ses 80 balais, Monsieur Bressy (originaire d’Avignon) a reçu le prix Raymond-Poïvet, pour l’ensemble de son œuvre. Qui est gigantesque : 16.000 bandes horizontales ou verticales
Sa carrière démarre en 1949, par conséquent, sous le signe de l’adaptation de grands romans comme ce Capitaine Fracasse (avec le texte sous l’image) présent notamment dans la NR, pendant 83 strips et presque quatre mois de publication (jusqu’au 21 février 1950).
C’est l’agence Paris-Graphic, agence de dessinateurs, qui le diffuse. La liste impressionnante de sa production ensuite serait une suite ininterrompue d’adaptations réussies, pratiquement toutes diffusées par Opera Mundi : Pardaillan, Mique, Fu Manchu, Docteur Claudette (2.500 bandes dans l’Aurore !), Noëlle aux quatre vents, L’Appel de la forêt. Et plus tard, Ferragus et Les navigateurs de l’infini. Romans fleur bleue, de cape et d’épée ou de SF, Bressy aura tout dessiné, y compris des adaptations des films de Walt Disney comme Les Robinsons des mers du Sud ou Mary Poppins !
Le roman de Théophile Gautier publié en 1863, est passé au travers du temps. Son héros, le baron de Sigognac, dit Fracasse, bretteur devenu comédien, va prendre au cinéma les traits de Fernand Gravey en 1943 (sous la caméra d’Abel Gance) mais surtout en 1961, ceux de Jean Marais (filmé par Pierre Gaspard-Huit) dont la carrière populaire va exploser grâce à quelques longs métrages de cape et d’épée… Même Ettore Scola lui redonnera vie en 1991.
Mais plus de trente ans après la publication des albums de Bressy aux éditions Prifo, Fracasse rime toujours et encore avec bande dessinée puisque les éditions Delcourt ont publié trois tomes d’aventures (entre 2008 et 2010) signés de Mariolle/Kyko Duarte/Gamboa.
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Cher Onc Erwann,
Quelle immense joie de rencontrer tous ces petits personnages de la B.D.
et l’histoire passionnante de leurs auteurs qui s’ignorant et croyant inventer
dessinaient des petits êtres si proches les uns des autres … Noddy devenait
OUI-OUI. Votre style, Onc Erwann est si vif, si plein d’humour que vous lire est toujours un grand plaisir.