Pendant trente ans dans le Courrier Picard, vingt-sept ans dans la Nouvelle République, vingt-quatre ans dans Presse-Océan, mais aussi dans la Dépêche du Midi, les aventures de Tom Pouce et de M. Bommel vont rythmer le quotidien des lecteurs de cette presse régionale. Quand les strips avec le texte sous l’image vont finir par disparaître des pages de ces journaux, l’ombre du maître hollandais qui les dessinait va aussi s’estomper. Pour une raison toute simple : il n’y a pas eu de BD signées Marten Toonder. Pas au sens où l’on entend depuis les années 1970 en France, c’est-à-dire par le biais d’albums, souples ou cartonnés.
Les studios Toonder ont certes créés des milliers de bandes dessinées ; quelques auteurs sortis de ces studios ont certes connu la gloire (en France) grâce à leurs propres albums, mais les héros de Marten Toonder (Tom Pouce et Panda) n’ont pas survécu à la fin de leur publication dans la PQR. Les quelques tentatives (Artima, ou les éditions Mondiales dont les couvertures des fasicules étaient dessinées par Jean-Louis Pesch, le père de Sylvain et Sylvette, etc) n’ont eu ni le succès, ni l’impact que la réputation de leur génial créateur aurait pu laisser entrevoir, même avec des tentatives désespérantes de « mises en bulles » des textes de Toonder.
Malgré une expo (certes un peu minimaliste, mais enfin) dans le cadre du salon Bd Boum à Blois en 1993, et quelques hommages par-ci, par-là, la France a oublié Marten Toonder.
Preuve en est – puisque c’est en 2012 la seule mesure qui compte ! – les références sur Internet. Regardez les sites traditionnels de recherche : une grande pauvreté. Seul le travail remarquable d’Alain Beyrand avec Pressibus.org (Pressibus étant le nom du « fonctionnaire » de Bommelstein !) se retrouve cité partout sur la toile, y compris sur les sites néerlandais (dont celui, officiel de la Toonder Companie BV, bon courage avec les « tradales » !) ou sur celui des spécialistes du site belge Lambiek.be par ailleurs très bien fait. Il faut se tourner vers les grands dictionnaires de BD pour trouver ici une trace significative de Toonder et de sa place réelle dans le petit monde du 9e art : ce qui s’explique en partie parce que Patrick Gaumer ou Henri Filippini (tous deux maîtres es-dicos) ont une parfaite connaissance de la région de diffusion de la Nouvelle République du Centre-Ouest. Evidemment, les spécialistes des quelques magazines hyper-pointus s’y sont frottés (comme Louis Cance) mais leurs numéros sont collectors.
Bref alors que les Pays-Bas et la Belgique (1) s’apprêtent à fêter en grande pompe (avec une comédie musicale intitulée « Le retour de l’âge de glace » lancée le 30 décembre dernier à Amsterdam) les 100 ans de la naissance de Marten Toonder, la France en est encore à le (re)découvrir.
L’auteur : Marten Toonder (1912-2005)
Son papa est marin. Capitaine évidemment. De ses voyages au long cours, il va ramener en Hollande les premières bandes dessinées (Félix le chat ou Pim,Pam, Poum). Le petit Marten va tomber dedans. Les débuts sont compliqués. Pour simplifier, disons qu’après un voyage en Argentine où il met, pour la première fois de sa vie les pieds dans un studio de bandes dessinées, Marten Toonder va faire ses premières armes dès les années 1930. Avec le début de la seconde guerre mondiale et l’interdiction par les nazis de la diffusion de Mickey, les éditeurs cherchent des dessinateurs animaliers. Parmi les animaux que griffonne le jeune auteur, il y a Tom Pouce, le petit chat blanc. La légende veut qu’il fasse son apparition dans les colonnes du journal d’Amsterdam « De Telegraaf / Niews van de Dag» en 1941 : en fait, il a pris naissance en Tchécoslovaquie par le hasard d’un distributeur indépendant.
Un Tom Pouce plus grand, plus fort, plus poilu… Rapidement, les strips de Marten Toonder connaissent un immense succès. Au point qu’il ouvre un studio alors que le conflit mondial bat son plein.
Quelques aventures et quelques frissons vert-de-grisés plus loin, en 1947, les studios sont réorganisés et ce cher M. de Zwaan fait son entrée (voir chapitre précédent). Mais l’objectif, désormais, ce sont les dessins animés, la production cinématographique à grande échelle. C’est là que Marten Toonder gagnera ses galons de Walt Disney européen.
La suite est une sorte de conte de fée à la batave. En matière de BD, la griffe Toonder va marquer de son empreinte des collaborateurs dont la réputation dépassera les polders des Pays-Bas. La Nouvelle République va en publier quatre : Hans Kresse (1921-1992), dont la série Les Peaux-Rouges sera couronnée à Angoulême en 1977, avec son Matho-Tonga ; Piet Wijn ((1929-2010) et son chevalier musclor Aram ; Frits Kloezeman (1924-1985) adaptant le chef d’œuvre policier de Van Gullik, le Juge Ti. Il faut citer aussi Lo Hartog Van Banda (1916-2006), connu en France pour avoir travaillé avec Morris au scénario de trois aventures de Lucky Luke (Fingers, notamment). Très proche du patron, il partagea même avec lui la production du Tom Pouce quotidien.
Au nombre des familiers, son frère Jan-Gerhard Toonder, scénariste et surtout sa première épouse Phiny Dick (1912-1990), voisine d’enfance, qui dessinera les histoires du farfadet Vieux Chapon, publiées dans l’hexagone par les éditions Mondiales. Marten Toonder et Phiny Dick avaient quatre enfants ; deux garçons et deux filles, deux petites orphelines d’Indonésie, Jeannette et Mary-Lou, adoptées par le couple.
En 1965, le maître quitte le navire et le château de Nedehorst (Cinecentrum) où travaillent une centaine de personnes à la fabrication de films et de vidéos vendus dans le monde entier. Il s’installe en Irlande, au sud de Dublin dans une vaste maison, se convertissant au boudhisme, où il va recevoir la NR, en 1987, l’année de ses 75 ans. Il demeurera à Eyrefield Lodge jusqu’en 2001 avant de remettre ses pas dans son pays natal.
Le 1er décembre 2010, les archives Toonder, dont 10.000 originaux de Tom Pouce, devenues « héritage national » sont acquises par le Musée national de littérature néerlandais. Tout ce qu’a touché ce génie de la BD est devenu de l’or.
A postériori, la Nouvelle République (comme ses confrères nantais et picards) peut se féliciter d’en avoir capté un peu d’éclat.
(1) Une expo au musée de la BD à Groninge, une autre au musée de la Littérature à La Haye, et celle du Musée de la BD à Bruxelles . Tous les détails sur l’année Toonder (en néerlandais) : http://www.toonderjaar.nl/
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