L’ombre gigantesque de Jean Giraud-Moebius-Blueberry-Arzach-Incal n’a pas fini de hanter les arcanes du neuvième art. Tout souvenir fait partie désormais de l’histoire collective de la BD (encore que le maître dépasse largement ce cadre trop étroit pour lui). Bref, en fouillant dans les archives de la Nouvelle République, l’oncle Erwann, en guise de très modeste hommage, a redécouvert deux ou trois bricoles.
L’histoire
L’Illustré du dimanche
(22 janvier 1967 – 22 juillet 1967)
La notule du BDM 2010 dit ceci : « Ce journal éphémère parut d’abord comme supplément du Journal du Dimanche et de Paris-Normandie puis en un volume sous le titre « Six aventures complètes en bandes dessinées » qui tenta d’épuiser ainsi le stock d’invendus. »
Les spécialistes du BDM ont oublié un quotidien dans leur compte-rendu : la Nouvelle République du Centre-Ouest. Eh, oui ! Bien avant la parution d’une édition dominicale telle que les lecteurs de NRDimanche la connaissent aujourd’hui, le journal a donc publié, sous ses couleurs s’il vous plaît, ce supplément illustré diffusé par les éditions Dargaud et qui reprenait les premières BD de Pilote.
Manifestement, on trouve assez facilement chez les antiquaires du neuvième art des exemplaires de cet hebdomadaire (32 numéros sur huit mois) qui a d’ailleurs – peut-être – été publié sous la responsabilité d’autres quotidiens régionaux. Les stocks dont parle le BDM probablement. En tout cas, pas de quoi fouetter un chat : la cote est à deux euros le numéro !
Comment ce supplément s’est-il retrouvé sur le marché régional ? Bonne question. On peut penser que c’est Opera Mundi qui a servi de passerelle entre la maison Dargaud et la PQR ; mais, fait étonnant, on trouve dans les pages centrales une histoire tirée du Journal de Mickey (donc Hachette, également diffuseur de presse, concurrent d’Opera Mundi !), celle de la traduction dessinée du feuilleton télé, « Le temps des copains » avec un Henri Tisot qui n’imitait pas encore le général de Gaulle.
Donc dans cet Illustré du dimanche qui paraît huit ans après la sortie du premier numéro de Pilote (rappel : Pilote est d’abord lancé par Radio Luxembourg avant d’être repris par Georges Dargaud), on découvre un contenu qui date de 1963 – date de la mise en place des grandes séries – et qui demeure un véritable plaisir pour tous les fans de cette période faste.
Qu’on en juge : Astérix (et le couple Uderzo/Goscinny), bien entendu, qui sert de moteur d’entraînement (le petit Gaulois a démarré sa carrière dans la presse régionale dès février 1963 dans le Télégramme de Brest !) ; Achille Talon (en dernière page) et le Haineux Gordien en Une (sous la signature de Greg) ; Michel Vaillant de Jean Graton (dont le n°19, pour terminer l’album, publiera huit pages complètes) ; Tanguy et Laverdure de Jean-Michel Charlier dessiné par Uderzo ; Lucky Luke de Morris, et, beaucoup moins connue, Arabelle la petite sirène de Jean Ache.
Et puis, évidemment, c’est là où l’oncle Erwann voulait en venir, les aventures du Lieutenant Blueberry, écrites par Jean-Michel Charlier (co rédacteur-en-chef avec Albert Uderzo de cet Illustré du Dimanche) et mises en images par un certain Jean Giraud, qui signe Gir. Fort Navajo est donc la première histoire de la très longue série de ce soldat teigneux mais beau gosse dont le visage va changer au fil des albums, influencé d’abord par celui de Jean-Paul Belmondo avant de prendre sa tournure définitive.
Les aficionados noteront que sur le côté des deux pages, qu’il s’agisse d’Astérix, de Michel Vaillant, de Lucky Luke ou de Blueberry, l’éditeur a rajouté des petits dessins animant les colonnes de blanc. Pour le beau militaire de l’ouest, ce sont des signes cabalistiques censés, probablement, rappeler l’écriture indienne. Peut-être un fidèle de Blueberry et de Case Départ saura-t-il déchiffrer ces messages… secrets ?
Enfin, pour démarrer le contenu de ces bandes dessinées qui arrivaient, pour les lecteurs de la Nouvelle République, comme un cheveu sur la soupe (dominicale), les éditions Dargaud ont pondu, pour chaque héros, un petit texte introductif très, disons, pub à l’ancienne. Pour lancer Fort Navajo, il est question des « Hommes rouges épris de liberté », de « soldats perdus confinés dans des forts isolés » pour conclure : « c’est leur vie rude que vous conte cette histoire ».
Une histoire qui est partie pour un bail de plus de trente années. Mais que ce soit en 1963 ou en 1967, personne ne s’en doutait !
L’auteur
Jean Giraud à Romorantin (1982-1983)
S’il y a, parmi les dizaines d’histoires du lieutenant Mike Blueberry dessinées puis scénarisées par Jean Giraud, une qui devrait être chère au cœur des habitants du Loir-et-… Cher, c’est bien La dernière carte.
C’est en effet à Romorantin, en Sologne, que le maître a réalisé cette aventure de Blueberry, publiée cette fois par Hachette (et non plus par Dargaud) et qui se trouve être le 26e titre de l’histoire démarrée en 1963 (21e si on s’en tient à la série initiale).
Parisien, banlieusard, détestant la campagne, Jean Giraud va tout de même – après Mantes-la-Jolie et un détour par le Mexique avec sa mère quand il avait 17 ans – se retrouver dans des lieux beaucoup plus calmes pour travailler. Romorantin donc, pendant une année, du printemps 1982 au printemps 1983, puis parallèlement dans les Pyrénées, au petit village de Castet dans la vallée d’Ossau.
Son passage en Loir-et-Cher n’a pas l’air de l’avoir beaucoup marqué si l’on excepte un mois de travail « dans un château isolé dans une forêt près de Tours » avec René Laloux pour le story-board des Maîtres du Temps qu’il évoque dans ses entretiens avec Numa Sadoul.
Mais la preuve de sa présence en Sologne, c’est évidemment dans les archives de la Nouvelle République qu’oncle Erwann va en trouver la trace. Notamment par le biais d’une longue interview publiée le week-end des 4 et 5 décembre 1982 par notre confrère Hervé Larroque qui orthographie avec beaucoup de constance le nom du dessinateur en Jean GirauLT ! Le maître qui vit dans une maison tout à fait banale à la sortie de la commune, lui déclare (très diplomatique avec la presse locale, la star ) : « J’aime bien Romorantin ; c’est une petit ville sympathique et c’est là qu’on vit le mieux. Evidemment, ce n’est pas un phare au point de vue culturel. Mais il ne faut attendre la même chose d’une petite ville que de Saint-Germain des Près, et réciproquement ! »
Sur place, comme son épouse Claudine donne des cours de yoga à la Maison des jeunes, Jean Giraud va accepter d’y faire une exposition de dessins originaux. Une première aura lieu en décembre 1982 et une seconde (à l’espace Maurice-Genevoix) en juin 1983. Ajoutons, pour être précis que le dessinateur va également animer, au cinéma Le Palace, une projection de Tron qui vient de sortir en France. Veinards, les spectateurs de Romorantin, ce jour-là !
Dernier détail local : le père de Blueberry a laissé le journaliste de la NR photographier sa table de travail. Et sous le crayon du maître, les fans ont facilement reconnu la case quatre de la page sept de La dernière carte. Si, si, c’est bien cela. Emouvant de re-découvrir ce lien à trente ans de distance ! Et comme Jean Giraud mettait à peu près un an pour faire un Blueberry, on peut sans trop se tromper admettre que ce titre-là, au moins, est un pur enfant du Loir-et-Cher.
Merci aux maîtres du temps de nous avoir permis cette petite intrusion dans le passé.
- BDM (Bera-Denni-Mellot), Les Trésors de la Bande dessinée, argus officiel (Les éditions de l’Amateur).
- Moebius, entretiens avec Numa Sadoul (Casterman).
- Moebius et Giraud, histoire de mon double (Editions n°1)
si vous desirez le numéro zero de l illustré du dimanche
je puis vous en envoyer les scans sino allez sur goscinny forum je les ai placés
cordialement
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