On va manquer de Kleenex à Case Départ. Après André Galland et Sans Famille, voici Gaston Niezab et les Deux orphelines. Il fallait aimer le roman à l’eau-de-rose dans les années 55 quand on était lecteur de la Nouvelle République.  Mais le cinéma lui-même s’était laissé tirer des larmes s’il on en juge par le nombre d’adaptations qui, avant-guerre, avaient obtenu leur part de succès.
Mais bon, cela valait le coup de sortir un peu de l’ombre ce M. Niezab, un grand dessinateur, qui comme Galland, est à cheval sur deux siècles, mais à qui reviendra l’honneur d’être le premier à publier une bande dessinée à suivre quotidienne dans un journal : ce sera France-Soir à partir du 23 juillet 1946 avec une adaptation des Misérables de Victor Hugo, dotée du  texte sous l’image (a priori, faut-il le rappeler, on attendra novembre 1949 dans la Nouvelle République, cette fois, pour nommer ces histoires en cases, une bande dessinée).
L’histoire
Les deux orphelines de Gaston Niezab, d’après Adolphe d’Ennery et Eugène Cormon (1er janvier 1955 – 14 janvier 1956, 312 planches).
Comme pour Sans Famille, décrire les circonvolutions du scénario de ce mélodrame (tout autant mélo que drame d’ailleurs) prendrait un temps fou. Le résumé traditionnel parle de deux sœurs originaires de Normandie, Henriette et Louise, qui avant le déclenchement de la Révolution française « montent » à Paris pour tenter de faire soigner la pauvre Louise atteinte de cécité.
Comme on est en plein feuilleton, rebondissements, quiproquos et clichés bourrés (sniff, sniff !) de bons sentiments et de religiosité émaillent les aventures des deux jeunes et pures jeunes filles au prise avec une pocharde abominable (la Focharde) et un chevalier à l’esprit mal tourné (shocking !).
Evidemment, tout finira bien, les orphelines vont retrouver une famille, Louise va retrouver (probablement) la vue au moment où le roi de France va perdre (effectivement) sa tête.
La bio de l’auteur de cette belle-histoire-comme-on-aimerait-en-voir-tous-les-jours comme diraient les Nuls est assez sympa aussi. Le dramaturge Adolphe D’Ennery (ou Dennery, 1811-1899) a écrit ce texte pour le théâtre (il fallait bien cinq actes !) : la première a eu lieu le 20 janvier 1874 porte Saint-Martin.
Mais le monsieur, extrêmement prolifique, affiche près de deux cents productions à son actif (dont pas mal d’opéras). Il fut aussi, parallèlement maire de Cabourg devenu une station balnéaire normande de la Côte fleurie qui inspira (entre autres) le gars Marcel et ses madeleines proustiennes.
Dernier acte avant le baisser de rideau sur l’histoire, celui du cinéma. Nos Deux orphelines vont drôlement inspirer les réalisateurs. Quinze adaptations pour grand écran avec deux temps forts que les sites spécialisés (et même Télérama) recommandent : l’un signé D.W. (ah oui, ça signifie David Wark, mais on ne le dit jamais, allez savoir pourquoi !) Griffith en 1921, film muet considéré – aujourd’hui – comme un chef d’œuvre ; et en 1933, celui de Maurice Tourneur (avec Renée Saint-Cyr et Yvette Guilbert, super-stars féminines de l’époque) dont un critique écrit  que son « travail est assez remarquable, même s’il n’arrive tout de même pas à faire oublier la médiocrité de la larmoyante pièce d’origine » (Bingo !). La dernière des adaptations remonte à 1965 avec Riccardo Freda, maestro italien des films d’aventures musclés.
PS. Et puis n’oublions pas la version gore (ce qui n’a rien à voir !) et pas mal déjantée Les deux orphelines vampires de Jean Rollin en 1977 qui fit, dit-on, hurler… de rire le public (très sévère) d’une Nuit de l’horreur à la cité de la Villette, il n’y a pas si longtemps. Ce long métrage devenu une sorte de must comptait dans son casting outre Brigitte Lahaie, la fille de Paul Carali (salut au passage au Psikopat), Melaka – c’est le seul rôle qu’elle a jamais tourné – à qui Case Départ se sent obligé de rendre hommage, vu et étant donné qu’elle a été l’une des premières (avec Boulet) à créer un blog BD en France… Respect, miss !
L’auteur
Gaston Niezabytowski dit Niezab (mais aussi Bazein) – 1886-1955.
C’est en mars 1984 que le nom de Gaston Niezab revint enfin à la surface. Grâce à une étude de maître Louis Cance du magazine Hop (n°34), cet auteur qui avait commencé sa carrière comme décorateur de théâtre et démarré dans l’illustration en 1912, est enfin sorti de l’oubli. Il n’est pas forcément inutile de préciser que Gaston Niezabytowski, d’origine polonaise (ah, bon !) a fait – selon la formule – une superbe guerre de 14-18. Il s’est battu à Verdun, blessé trois fois, légèrement gazé, il a reçu la Croix de guerre et la médaille militaire.
Grâce à Hop, on redécouvre alors un « stakhanoviste qui laisse derrière lui une œuvre inégale » dixit Patrick Gaumer* dont il faut, aujourd’hui, peut-être retenir les couvertures de l’Intrépide, dans les années 1930 (chez les frères Offendstadt), son passage après guerre (la deuxième) chez Gavroche ou Cœurs Vaillants, et sa version, donc, des Misérables de Victor Hugo, première BD à suivre dans France-Soir en 1946 (publiée en album l’année suivante chez Armand Fleury éditions).
C’est à cette période qu’il entame sa collaboration avec Opera Mundi, l’agence Winkler qui fournit la presse régionale. Les Deux Orphelines, publiées par la Nouvelle République en 1955, feront aussi sangloter le Libre Poitou, l’Yonne Républicaine, le Midi Libre, Nord-matin, l’Est Eclair. D’autres romans dessinés comme La Cousine Bette (Balzac), Manon Lescaut (d’après l’abbé Prévost) ou justement les Misérables animeront les pages de dizaines de titres des quotidiens de province.
Michel Denni* lui considère Niezab comme un auteur certes « prolifique » mais « doué d’une puissance de travail et d’une rapidité d’exécution incroyable, très à l’aise dans les reconstitutions historiques et par ailleurs coloriste de talent ». Il sera le dessinateur vedette de trois maisons d’éditions disparues : Armand Fleury (avec un Rocambole remarqué), P. Fournié et Léon Brunier. C’est L.B. qui publiera, à partir de fin 1947, un bimensuel, Petit Riquet reporter (le tout signé toujours Gaston Niezab sur des textes d’un romancier populaire, Albert Bonneau) lequel va afficher un tirage de 70.000 exemplaires, ce qui est loin d’être anecdotique, alors que la concurrence se nomme Tintin reporter !
Petit Riquet survivra trois ans à la disparition de son dessinateur (septembre 1955) puisque le dernier numero date du 3e trimestre 1958. Après ce sera un grand silence blanc de près de vingt-cinq ans. Et aujourd’hui, près de vingt-huit ans après Louis Cance, c’est Case Départ qui tire son (modeste) chapeau devant Monsieur Gaston…
* Dans le Dictionnaire Larousse de la BDÂ ; et dans le BDM.