Quel lien y a-t-il entre un pantin de bois coiffé d’un ridicule bonnet bleu chauffeur de taxi, un bonhomme Michelin déguisé en groseille et une bande dessinée passée inaperçue dans la Nouvelle République des années 50 ? Un auteur hollandais, Peter Wienk, totalement inconnu aujourd’hui, dont il faut, pour retrouver la trace, aller fouiller du côté de Londres et de l’écrivain(e) pour enfants la plus lue au monde, Enid Blyton. Mais oui…Oui!
L’histoire
Nico à Dingoville (14 juin 1956 – octobre 1958 ?)
Une fois encore, la piste de l’honorable et très chic M. de Swaan est toute chaude. Voilà qu’il vient de vendre à la Nouvelle République, une nouvelle bande dessinée animalière qui, par endroit, peut avoir de vagues airs de ressemblance avec le Petzi danois de Hansen. Si le petit mangeur de crêpes à la confiture est un ourson, Nico, lui, c’est le petit héros dessiné par Wienk, est un charmant chaton, toujours coiffé d’une mini casquette à carreaux avec la culotte assortie, genre écolier britannique.
Comme les renseignements sur cette BD qui va animer la page du jeudi, le Coin des jeunes, pendant deux ou trois ans, à raison (généralement) de quatre strips (avec du texte sous l’image) manquent furieusement, et qu’aucun guide, dictionnaire ou encyclopédie n’en fait mention, les quelques éléments de recherche sont fatalement liés à ce qui est paru dans les colonnes de la Nouvelle République.
Un fait est avéré, c’est la date de départ de la publication : 14 juin 1956. Cela fait trois ans que le maestro hollandais qui servait de patron à Peter Wienk est décédé et le dessinateur a donc pris sa succession. Comme il travaille à Londres pour une maison d’édition britannique, il a tout naturellement placé les aventures de son petit chat noir dans un environnement bristish : bobbies, cup of tea, and all these sorts of things.
En français, il va se nommer Nico ; en anglais, Nikkie. Il habite dans un lieu appelé à Dingoville (Crazytown ?), ainsi que ses amis, un petit singe prénommé Martin, Gervaise la girafe, ou Cancan le canard.
Le site hollandais Lambiek précise que Peter Wienk a écrit (dans les années 1950, est-il affirmé) onze épisodes des aventures de Nico-Nikkie. Case Départ en a dégotté au moins quatre dans la NR : Le gâteau disparu (juin 1956) ; L’horloge de Dingoville (1957) ; Le rapide de Dingoville (1957) et La course sur patins (mai 1958). Il y en a certainement eu davantage.
Y en a-t-il eu dans d’autres quotidiens régionaux où M. de Swaan avait ses grandes et ses petites entrées, mystère. Dans les tout premiers strips, si la signature de Wienk est parfaitement visible, le copyright de Swan Features syndicate n’apparaitra bizarrement que plus tard. Autre petit mystère. Mais pour un dessinateur inconnu et une bande dessinée tout aussi inconnue, c’est probablement normal.
L’auteur
Peter Wienk
Avant de parler de Peter Wienk, il faut dire un mot de son maître, un dessinateur hollandais du nom de Eelco Marinus ten Harmsen van der Beek (1897-1953). Bon, comme ce n’est pas très simple à prononcer, oncle Erwann suggère de se contenter de Beek (et pas « bique » s’il vous plaît), d’ailleurs c’est comme cela qu’il signe (ou plutôt Harmsen van Beek).
Ce Beek donc, est (avec son épouse, une illustratrice) le plus fameux dessinateur publicitaire des Pays-Bas. L’histoire vaudrait un bouquin (et un musée lui est d’ailleurs entièrement consacré) : en 1935, il a créé, pour le compte de la société De Betuwe, fabrique de confitures de la ville de Tiel (située dans le cœur du pays, entre Nimègue, Utrecht et Rotterdam), un personnage devenu une légende, un mythe, un symbole, tout ce qu’on veut. Comme Popeye avec les épinards ou Bibendum avec les pneumatiques, Pippin/Pépin ? (il n’y a pas vraiment de traduction française) ou plutôt Flipje en néerlandais est un homme-fruits. C’est un petit personnage fait de groseilles assemblées en un corps humain, avec un collier de feuilles autour du cou, une tête sympa et rigolarde et une sorte de toque de cuistot sur le crâne.
Harmsen van Beek va décliner sa groseille sur jambes en héros d’une bande dessinée publicitaire (sous forme d’albums en strips horizontaux) qui va obtenir un succès prodigieux dans tous les Pays-Bas et additionner les rééditions, la plus récente datant de 2002.
Flipje van Tiel a sa statue en bronze sur la place centrale de la ville (comme Popeye à Crystal City, capitale mondiale du spinach) où chaque année, le dernier week-end de septembre, se tient un carnaval qui vaut largement ceux de Nice ou de Menton, d’autant que les chars sont tous constitués exclusivement de fruits et de légumes.
Bon, et notre Nico-Nikkie-Wienk, là-dedans ? Un peu de patience, on y vient. Le Harmsen van Beek va se fâcher avec son confiturier et après avoir lancé une autre BD publicitaire (deux lapins pour le compte d’une compagnie d’électricité, cette fois) se mettre totalement au service de celle qui deviendra, elle aussi, une légende : Enid Blyton (1897-1968).
Pas question de se lancer ici dans l’histoire des 800 romans (dont 600 pour enfants) écrits en quarante ans par la dame la plus lue au monde (après la Bible, Mao Tsé Toung et Agatha Christie, probablement). En France, Le club des Cinq ou Le clan des Sept ont fait les beaux jours de la Bibliothèque Rose.
Comme d’ailleurs, ce petit pantin désarmant qui remuant (dodelinant serait plus exact) sans cesse la tête (« to nod the head ») va porter le nom évident de Noddy. Noddy, qui débarquera en France en 1962 va s’appeler pour ses petits lecteurs Oui-Oui et connaître, là encore, un succès que les années n’entameront pas. Oui-Oui et sa petite bagnole qui klaxonne toute seule, Oui-Oui dans l’univers enchanté de Miniville, le pays des jouets, avec Potiron, Mirou, Jumbo, ses amis. Eh bien cette délicieuse sucrerie pour tout-petits, si elle est créée par Enid Blyton dès 1935, elle est dessinée par Harmsen van Beek. Qui signe Beek.
Et qui prend (à partir de quand ?) comme assistant un certain Peter Wienk, néerlandais comme lui. Lequel, lorsque le maître meurt en 1953, prend le relais et va garder la haute main sur le graphisme de Noddy-Oui-Oui pendant pas mal d’années ! Autrement dit (non, il n’y pas de jeu de mots…dits), Wienk est un inconnu incroyablement célèbre… chez tous ceux qui ont un jour entre 3 et 5 ans et à qui on apprenait à lire avec la Bibliothèque rose.
Enfin, et si l’on veut bien y prêter attention, on retrouve dans les personnages de Nico (la BD dans la NR !) toute une série de points communs avec le petit héros d’Enid Blyton : les personnages en peluche, la voiture, Dingoville-Miniville, la rondeur des traits, etc.
Quand à apprendre à lire dans la Nouvelle République en 1956…