La voiturette d’Abdallah vendue aux enchères près de Moulinsart



Un des panneaux de Sept Soleils à l’entrée de la ville. Dans la Lincoln Zephyr 1937 avec cette fameuse phrase : « Et maintenant, capitaine, me direz-vous enfin où nous allons ? » « A Saint-Nazaire ! » (Photo Carene/Agglomération St.Nazaire)

Comment débuter cette histoire ? Peut-être par un conte de fées. Il était une fois dans le port de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) un journaliste fou de BD et tintinophile absolu.

Son rêve : faire coïncider quelque part la réalité de cette cité maritime meurtrie par la guerre mais fière d’un passé de capitale des traversées transatlantiques et la fiction d’une escale du héros de Hergé, arrivant sur place pour embarquer direction l’Amérique du Sud à la recherche de Tournesol enlevé par des Indiens.

Autre panneau géant placé à un endroit qui n’est plus l’entrée principale de Saint-Nazaire. (Photo Carene/Agglomération St.Nazaire)

En décembre 1986, Jean-Claude Chemin va déposer les statuts d’une association qu’il va joliment baptiser « les Sept soleils » (allusion évidente aux Sept Boules de cristal, album dans lequel le lecteur voit rouler la magnifique Lincoln Zéphyr 1938 jaune – dessinée vingt-deux fois ! – qui amène Tintin et Haddock sur les bords de l’Atlantique). L’objectif, qui mettra du temps à être tenu mais Jean-Claude Chemin y arrivera, c’était de faire poser aux endroits exacts où Hergé les avaient dessinées, des vignettes grandeur nature représentant Tintin à Saint-Nazaire.

Avec l’accord bienveillant de la maison Moulinsart et de Fanny Rodwell (la veuve de Georges Rémi), l’aide de nombreux sponsors et de la municipalité, des inaugurations très folkloriques se sont succédées un peu partout en ville, notamment près de l’ancienne base sous-marine des U-Boot allemands, là où se pressaient, avant-guerre, la foule des passagers qui empruntaient les grands navires de la Compagnie générale transatlantique.

La photo des « trois Tintin ». Derrière le vrai ; devant Jean-Claude Chemin levant les bras et Jean-Pierre Talbot. (Photo Les Sept Soleils)

Le projet des Sept Soleils daté de 1992 devient réalité en 1995 avec la pose de la première plaque géante en métal émaillé. Il y en aura cinq autres (en 1996, en 2003 et enfin en 2004 en présence de Jean-Pierre Talbot, le Tintin français des Oranges bleues). Ces immenses vignettes situées à l’entrée de la ville, près des quais, dans les alvéoles de béton de la base, et l’activité tintinophile incessante de l’association ont indiscutablement joué en faveur du développement touristique de Saint-Nazaire (d’ailleurs allez-y, c’est super ! Ou à défaut, jetez un œil au site de l’ami Jean-Claude Chemin)

Point d’orgue de ce triomphe, deux expositions : « Tintin, Haddock et les bateaux » à Saint-Naz et la même, très enrichie, sous le titre « Mille Sabords » au musée national de la Marine qui va attirer en 2000-2001 près de 300.000 visiteurs. Scrogneugneu ! On vous l’avait dit, un vrai conte de fées.

L’expo « Mille Sabord » a eu un succès fantastique. Et le sous-marin de Tournesol a même fait un séjour dans le musée Tintin… de Cheverny. (Photo Ministère de la culture)

Sans oublier un vrai-faux procès par la cour d’assises de Loire-Atlantique : celui du général Alcazar, caramba, accusé de « complicité d’enlèvement de Tournesol ». Le futur dictateur-guerillero va être acquitté (le 23 novembre 2001, soyons précis) dans une parodie rédigée par un grand avocat nantais, spécialiste de la géopolitique des drogues (mais oui), Me Charles-Henri de Choiseul-Praslin.

Une des attractions de l’expo du musée de la Marine, les jurons du capitaine. (Photo ministère de la Culture)

Lequel, lui aussi tintinophile, lui aussi membre des Sept Soleils, ayant écrit quelques articles sur le personnage d’Hergé, s’est pris au jeu et a publié, en novembre 2004, sous la haute autorité des éditions Moulinsart, un « Tintin, Hergé et les autos » qui nous intéresse dans cette rubrique bien bavarde.

Le livre de Charles-Henri de Choiseul Praslin. (Editions Moulinsart)

Dans l’enquête qu’il a mené en feuilletant et refeuilletant les aventures du petit reporter,  deux trois élements lui ont sauté aux yeux. Est-ce que ça va vous le faire à vous aussi, puisque TOUT le monde connaît par cœur les albums de Tintin ?

1)             Il y a énormément de voitures (près de 80 différentes) dans l’univers d’Hergé, imaginaires ou début, bien existantes à la fin, qui jouent, finalement un sacré rôle.

2)             Dans un entretien avec le journal Presse-Océan (novembre 2004), l’avocat précisait : « Tintin ne monte jamais dans une voiture sans avoir un accident ! Je me suis interrogé pour savoir ce qui se passait après des collisions qui auraient dues le plus souvent être mortelles. Neuf fois sur dix, il s’en sort bien et même il progresse dans son enquête ».

3)             « Je me suis aperçu que Tintin n’était jamais propriétaire… » Vérifiez, vous verrez que c’est exact.

Pour les fans, il faut d’ailleurs relire cet ouvrage peu connu et extrêmement bien documenté, qui accompagne à merveille (il est fait pour ça !) la collection des 70 reproductions des Voitures Tintin au 1/43e mises sur la marché par le biais des éditions Atlas. Elles sont fabriquées en Zamac, un mélange de zinc, aluminium, magnésium, antimoine et cuivre. (Pour tout savoir sur leur fabrication)

La liste complète des 70 Voitures Tintin commercialisée par les éditions Atlas.

Comme tout ce qui touche à Tintin vaut de l’or* (et pas de l’or noir !), ces petites autos, qu’on croirait destinées aux enfants, s’arrachent à des cotes démentielles dans les ventes aux enchères où l’on a vu, notamment, la vieille gimbarde du Congo atteindre, pour un prix de départ de 10 euros, une somme dix fois supérieure (chez Atlas, elles sont à 14,95 euros l’unité). Sur les sites de vente par internet, en général, les offres heureusement, demeurent correctes.

Avec le certificat d’achat de toutes les voitures….

Dans cette déclinaison automobile, les amateurs éclairés ont remarqué la présence solitaire d’un « bolide rouge », la Bugatti type 35 (de 1924) de Tintin en Amérique utilisée par le bandit Bobby Smile dans sa fuite.

Un petit mot dans le livre de Choiseul-Praslin sur le « bolide rouge » sorte de mélange imaginaire entre deux véhicules réels. (in « Tintin, Hergé et les autos ». Ed. Moulinsart)

C’est apparemment la seule fois où la célébrissime marque alsacienne créée par Ettore Bugatti emprunte les cases dessinées par Hergé même si un autre bolide rouge, celui du Maharadjah emprunté par le héros à houpette pour poursuivre l’infâme Rastapopoulos à la fin des Cigares du Pharaon a des airs de similitude (en fait c’est un mélange de plusieurs voitures de course, Amilcar et Alfa Romeo).

Dans la boîte protectrice de la Bugatti de Bobby Smile, une fiche technique très précise. Et un résumé de l’histoire.

Et voilà le travail au 43e effectué par l’équipe d’Andy Jacobs et de ses designers industriels.

Mais Hergé (qui, précise l’avocat nantais, a travaillé un peu dans une revue automobile) a aussi placé dans Tintin au pays de l’Or noir, cinq cases (pages 36,37 et 38) mettant en scène une autre Bugatti. Même s’il l’a coloré en rouge alors qu’elle était bleue, comme toutes les Bugatti d’ailleurs, celle-ci est un objet mythique pour la marque. Il s’agit de la Bugatti de type 52, surnommée la « Bugatti Baby » (ou « Bébé ») destinée aux enfants.

La notice sur la T35 et la T52. Détails jusqu’au bout du bout.

Ce modèle réduit de la T35 de Bobby Smile a été présenté au salon de Milan de 1927 et construite par Ettore pour son second fils Roland, né en 1922. 399 exemplaires vont sortir des usines de Molsheim et certains offerts à de tous jeunes princes comme Hassan II ou Baudoin de Belgique. Les autres modèles de cette véritable voiture à moteur qui pouvait atteindre les 17 km/h ont été acquis par de richissimes amateurs dont les rejetons se faisaient des courses d’enfer sur les planches de Deauville ou les gravillons des palais d’été. (Pour tout savoir sur les Bugatti)

L’avocat nantais ne s’est pas arrêté très longuement sur la mini-voiture d’Abdallah. Voilà les quelques lignes qu’il lui consacre. (in « Tintin, Hergé et les autos ». Ed. Moulinsart)

Le mélange entre cette mini-star (sur quatre roues) d’une autre époque et son appartenance à Abdallah, le petit poison adoré de l’émir Mohamed Ben Kalish Ezab enlevé par le terrible docteur Muller dans L’Or noir, était évidemment détonant. C’est ce qu’ont parfaitement compris les commissaires-priseurs de Vendôme, Me Philippe et Aymeric Rouillac qui avaient déjà mis aux enchères (en juin 2009) une Bugatti, une grande cette fois de Type 43, au château de Cheverny. Lequel comme chacun, de 7 à 77 ans, le sait, servit de base à Hergé pour imaginer Moulinsart. Tintin, toujours Tintin !

En juin 2009, Philippe Rouillac pose au volant de cette magnifique Bugatti devant le château de Moulin… oh, pardon de Cheverny (Loir-et-Cher). La bête va partir aux enchères pour 100.000 euros. (Photo Nouvelle République)

Là, c’était donc une « Baby » retrouvée chez un garagiste de Loir-et-Cher qui était mise en vente après avoir été exposée jusque dans la salle des fêtes de la mairie de Tours. (Pour voir la présentation)

Dans la grande salle de la mairie de Tours, Philippe Rouillac derrière la Bugatti T52 qui sera mise aux enchères quelques jours plus tard en Loir-et-Cher. (Photo Nouvelle République)

Objet de collection, objet de débats passionnés sur les sites spécialisés des amoureux de la firme alsacienne, une T52 avait été vendue aux enchères à Mulhouse en juillet 2009 près de 35.000 euros. Est-ce la pression Tintin, la très efficace campagne de communication des Rouillac, l’excellente qualité du petit bolide bleu : il est parti le 11 juin 2012 pour 47.000 euros. Une paille ! Personne n’a dit si c’était un émissaire de l’émir de l’Or noir qui avait fait chauffer sa carte de crédit ! Voilà comment on passe de la fiction-réalité de Tintin à Saint-Nazaire à la réalité-fiction de la vente aux enchères de la voiture d’Abdallah dans le Loir-et-Cher… Et d’un conte de fée à un autre.

Sur le site de Bugatti France, quelques extraordinaires documents de « Bugatti Baby ». Comme par exemple, celle du petit prince Hassan II entouré par sa famille, au volant de son bolide à lui. Photo probablement prise à Molsheim, puisque c’est lors de la visite sur place du roi du Maroc, qu’Ettore Bugatti devait offrir au prince une T52.

Toujours sur le site de Bugatti France, le père dans la T35 et le gamin dans le modèle au-dessous. La Baby eut un succès considérable dans la « haute société » des années 30.

Et la photo du site des commissaires-priseurs. Il y a même une petite video d’accompagnement pour montrer que le moteur électrique fonctionne toujours parfaitement.

* Rappel du record du 12 juin : une couverture de Tintin en Amérique partie pour 1.338.509,20 euros !

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À propos de Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé).
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2 réponses à La voiturette d’Abdallah vendue aux enchères près de Moulinsart

  1. ROUILLAC dit :

    Abdallah à CHEVERNY n’est autre que GABRIEL ROUILLAC, 4 ans, le fils et petits fils des commissaires priseurs de CHEVERNY !

    À suivre sur http://www.rouillac.com

  2. soizicflaubert@yahoo.fr dit :

    Extraordinaire… de Bugati en Bugati, de char en char comme on dit au Québec, au-delà de Tintin et de ses aventures captivantes, c’est une autre aventure que vous nous livrez, cher Onc Erwann…l’histoire de l’automobile
    mais aussi l’histoire de ses propriétaires, la bourgeoisie des années 1930
    tout en suivant notre Tintin Reporter aux hazards de ses tribulations.

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