En mars 1981, François Mitterrand est élu président de la république française et cette élection va indirectement avoir une incidence pour le salon d’Angoulême, désormais présidé par le maire PS Jean-Michel Boucheron. « Là, tout changeait. Le socialisme franchissait les remparts d’Angoulême tandis qu’un ministre de la culture, Jack Lang affirmait s’intéresser à la bande dessinée. David Caméo, l’adjoint successeur de Mardikian à la mairie, saisit l’opportunité de se placer. Il entra dans les services du ministère, où ses attaches angoumoisines lui permirent de jouer le rôle du spécialiste », écrivait Pierre Pascal dans BD Passion (Dossiers d’Aquitaine, 1993).
Du coup, en 1982, le salon va connaître une forme de reconnaissance politique puisque deux ministres font alors le déplacement en Charente : Jack Lang, bien sûr, qui y reviendra ensuite à plusieurs reprises, et Georges Filloud, le ministre de la communication. C’est même lui qui inaugurera cette neuvième édition en coupant symboliquement un ruban sous les yeux ravis de Jean-Michel Boucheron. Jack Lang se déplacera le lendemain pour se voir présenter depuis les remparts le site de la future école des arts et rencontrer au musée la conservatrice Monique Bussac.
En cette année 1982, Angoulême attire l’attention. Les médias répondent présents. Yves Mourousi, l’animateur télé le plus populaire du moment est sur place. France Inter y réalise une émission spéciale de « La fortune du pot ». La candidate locale, Hélène Pierre, remportera la somme de 5.700 F et en fait aussitôt don au musée d’Angoulême pour son « Centre de recherche et de création de la bande dessinée ». Tiens tiens, une future structure est en gestation. Mais ne brûlons pas les étapes.
Enfin avec un peu de recul, on se dit que le thème, « La BD et son avenir », colle parfaitement à cette année charnière. Il est illustré par une belle affiche de Moebius. Fait inédit, c’est la seconde fois que cet auteur signe l’affiche du salon, la précédente reprenait une case de Blueberry pour annoncer l’année 1976.
Et justement, cet avenir inquiète les dessinateurs qui ne voient pas d’un très bon œil l’arrivée de l’ordinateur et de la vidéo. Parmi les questions du débat, « le dessin animé va-t-il tuer l’album ? » illustre à merveille l’état d’esprit du moment.
Angoulême accueille précisément cet année là un monstre sacré des deux domaines : Osamu Tesuka, dont la venue doit beaucoup Atoss Takemoto, un Japonais résidant en Suisse, éditeur de la revue Le Cri qui tue, qui effectue en 1982 son troisième voyage en Charente. Le créateur d’Astro boy est l’objet de toutes les attentions. « Nous fîmes des interviews en vidéo avec le sérieux nécessaire, utilisant toutes les compétences dont nous disposions. Le résultat fut malheureusement lamentable. L’équipe, soi-disant professionnelle engagée ne put livrer aucun enregistrement audible. Ils avaient installé les micros à côté d’une soufflerie », regrettait Pierre Pascal dans BD Passion.
D’autres micros prolifèrent en 1982 : ceux des radios libres. A tel point que le Café de la Paix, où est réuni le jury dans une salle à l’étage, est pris d’assaut. Tout le monde attend au pied de l’escalier le palmarès. Giraud-Moebius, président du jury, et Michel Decrouy essayent d’avancer mais n’y parviennent pas et finissent par annoncer dans la cohue en colimaçon que Gillon est Grand Prix et que la Suisse est à l’honneur puisque Derib et Cosey sont consacrés par un Alfred.
Quelques mois plus tard, l’académie des Grands Prix se réunit de nouveau pour décerner le prix du dixième anniversaire. Presque tout le monde répond à l’appel ce 18 juin. Si Gillain est décédé depuis 1980, Franquin, Fred, Pellos, Giraud, Gillon et Bob de Moor, qui représente Hergé, sont là. Marijac et Reiser s’étaient excusés tandis que les organisateurs n’avaient pas trop insisté auprès de l’Américain Will Eisner en raison du coût du voyage depuis les Etats-Unis. Les débats sont passionnés et Claire Brétécher est préférée à Jacques Tardi et Jean-Claude Forest pour cette distinction inédite. En marge des délibérations, tout le monde va inaugurer la « maison de la BD », située en face de Saint-Martial, où Pierre Pascal et son centre de recherche et de création vont alors s’installer. Une nouvelle étape de franchie.
- Le palmarès 1982
- Grand Prix : Paul Gillon
- Alfred meilleure BD de l’année : Kate par Cosey (éditions du Lombard)
- Alfred enfant : Yakari, Le secret de petit tonnerre par Derib et Job (éditions casterman)
- Alfred Fanzine : Plein la gueule pour pas un rond (P.L.G.P.P.U.R.) et Instant pathétique
- Alfred avenir : Jacques-Henri Tournadre
- Prix de TF1 : Mohamed Aouamri
- Grand Prix spécial 10e anniversaire : Claire Bretecher
- Le jury 1982
- Le Grand Prix 1981 : Jean Giraud
- Le maire : Jean-Michel Boucheron
- Quatre journalistes : Pierre Veilletet (Sud-Ouest), Jean-Paul Morel (Le Matin), Robert Escarpit (Le Monde), Jean-Pierre Cliquet (Lire)
- Le conservateur du musée : Monique Busac
- Une libraire spécialisée : Adrienne Krikorian
- Un spécialiste : François Pierre
- Un professeur de dessin : Dominique Bréchoteau
- Le directeur : Pierre Pascal
- Episodes précédents:
- 1981, le changement de dimension
- 1980, le virage professionnel
- 1979, la censure fait débat
- 1978, sortie de crise et nouvelle ère
- 1977, la visite du roi Hergé et l’accident de la bulle
- 1976, l’apparition de BD Bulle et un débat passionné
- 1975, l’apparition de la première « bulle »
- 1974, le succès populaire au rendez-vous
- La genèse d’un monument
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