Dix ans, le chiffre est symbolique ! Pour fêter sa première décennie d’existence, le salon décide de mettre les petits plats dans les grands : prix spécial anniversaire, chapiteaux, un voyage à New York… Les projets ne manquent pas.
Alors, face à la charge de travail, Pierre Pascal décide de venir s’installer à Angoulême en septembre 1982 pour jeter les bases du centre de recherche de la bande dessinée et aider le permanent du salon, Michel Decrouy. « Les circonstances stupidement tragiques modifièrent le projet initial puisque Michel Decrouy eu sa crise cardiaque deux semaines jour pour jour après mon arrivée, confie-t-il dans BD Passion (Dossiers d’Aquitaine, 1993). Boucheron me chargea immédiatement d’assurer le salon du dixième anniversaire. »
Et la tâche est énorme. Car le maire d’Angoulême veut marquer cette date symbolique en organisant un voyage à New York. Angoulême 10 est d’ailleurs placé sous le signe des USA. « Les gratte-ciel new-yorkais à l’horizon », titre à ce sujet l’oncle Erwann dans la NR du 31 janvier 1983. Will Eisner est de nouveau au rendez-vous. « La France est dans l’œil du cyclone, le renouveau de la bande dessinée passe par votre pays », n’hésite pas à déclarer le père du Spirit tandis que les Argentins, Munoz et Sampayo, récompensés de l’Alfred du meilleur album pour Alack Sinner, Flic ou privé, ont un discours engagé contre la dictature de Pinochet. « Nous ne sommes pas partis d’Argentine pour des raisons politiques, mais nous n’y retournerons pas pour des motifs politiques. »
Sur le plan des infrastructures, le salon a bien grandit. Fini les chapiteaux de cirque au profit de deux toiles plus vastes sur le champ de mars. Plus confortable et adapté pour accueillir sous 2.600 m2 les 140 dessinateurs ayant fait le déplacement et les 120.000 visiteurs annoncés. Le succès populaire est au rendez-vous. La réussite commerciale aussi puisque les stocks des éditeurs sont parfois épuisés en trois jours. Pourtant ils avaient vu large : Dargaud avait apporté 11.000 albums, Casterman 8.000, Glénat 5.000, tout comme Dupuis. Les expositions cartonnent également que ce soir l’expo Brétécher, réalisée par Dominique Brechoteau qui a connu la dessinatrice aux beaux-arts de Nantes, ou Rock & BD avec des dessins de Margerin, Swarte, Jano et Clerc.
Le premier concours pour les enfants est un succès. Plus d’un millier de dessins sont réalisés sur le thème « Le bus dans la ville », organisé bien sûr par la Société des Autobus du Grand Angoulême. De leur côté Godard et Rodolphe dispensent de leur côté à l’école normale un stage de formation devant un public ravi d’une trentaine de dessinateurs amateurs.
Tout le monde est à la fête. Enfin presque, car les fanzines manifestent leur mécontentement par une pétition. Ils s’estiment mis à l’écart en étant regroupés dans la cour de l’hôtel de ville.
Mais la bonne humeur prédomine, à l’image de ce premier match de football du Harry Mickson BD, qui se tient au stade Lebon devant près de 500 spectateurs (et commenté par l’Oncle Erwann au micro !). Les dessinateurs de Futuropolis sont opposés aux organisateurs. Richette marque le premier but et Vuillemin le second. Victoire 2-0 de l’équipe Futuro avec dans ses rangs Robial, Druillet, Vuillemin, Bilal… Ils remportent l’imposant trophée dessiné par Florence Cestac et rendez-vous est déjà pris pour l’année prochaine !
Une autre date occupe pourtant déjà les esprits. Et pour cause. Car c’est du 20 au 27 avril, que se rend à New York une délégation d’une cinquante de personnes composée d’éditeurs, d’organisateurs du festival, de politiques et de dessinateurs (qui contrairement aux autres ont payé leur place). Etienne Robial a conçu pour l’occasion une exposition sur la BD européenne. Celle-ci voyagea par la valise diplomatique mais ne revint jamais. A l’arrivée à New York, Greg fit une forte impression en venant à la rencontre de la délégation avec une Cadillac rose avec chauffeur et une plaque d’immatriculation à son nom. Tout le monde participa à une convention, une visite du Museum of Cartoon Art à Port Chester tandis que les services culturels de l’ambassade de France organisèrent une réception avec vin rouge et camembert et présentèrent la note au salon à la fin !
Mais si 1983 est une date marquante dans les festivités, elle l’est également tristement. C’est cette année là que Hergé et Reiser rejoignent le paradis du neuvième art.
- Le palmarès 1983
- Grand Prix de la ville d’Angoulême : Jean-Claude Forest
- Alfred meilleure BD de l’année : Alack Sinner, Flic ou privé de Jose-Antonio Munoz et Carlos Sampayo – Argentine (Casterman)
- Alfred enfant : L’étalon noir de Michel Faure et Robert Genin (Hachette)
- Alfred presse : Ranxerox de Gaetano (Tanino) Liberatore et Stefano Tamburini – Italie dans le journal Libération.
- Alfred fanzine : Dommage (Confolens)
- Alfred avenir : Thierry Clauvaud (Limoges)
- Le jury 1983
- Le grand prix 1982 : Paul Gillon
- Le maire : Jean-Michel Boucheron
- Quatre journalistes : Pierre Veilletet (Sud-Ouest), Jean-Paul Morel (Le Matin), Robert Escarpit (Le Monde), Jean-Pierre Cliquet (Lire)
- Le conservateur du musée : Monique Bussac
- Une libraire spécialisée : Adrienne Krikorian
- Un spécialiste : François Pierre
- Un professeur de dessin : Dominique Bréchoteau
- Le directeur : Pierre Pascal
- Episodes précédents:
- 1982, premières visites ministérielles
- 1981, le changement de dimension
- 1980, le virage professionnel
- 1979, la censure fait débat
- 1978, sortie de crise et nouvelle ère
- 1977, la visite du roi Hergé et l’accident de la bulle
- 1976, l’apparition de BD Bulle et un débat passionné
- 1975, l’apparition de la première « bulle »
- 1974, le succès populaire au rendez-vous
- La genèse d’un monument
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