«Allo, bonjour, ici la mairie de Courléon, Maine-et-Loire ! Un dessinateur de BD du nom de Léon Mercier qui aurait vécu ici, non, jamais entendu parler !»
Courléon : trois rues, une église romane, 171 habitants, aux confins de la Touraine et de l’Anjou, entouré de quelques beaux châteaux devenus hôtels de luxe, de forêts, et de quelques souvenirs mégalithiques.
« Allo, bonjour, c’est Léon Mercier. Ah, on ne se souvient pas de la famille Mercier à Courléon, c’est normal. On est parti en 1958, c’est loin ! Mais j’y suis pourtant revenu souvent pour travailler, ou pour passer des vacances, chez mes parents, route de Bourgueil !»
A 84 ans, après une tuberculose et quelques ennuis de santé gravissimes, Léon Mercier a ses souvenirs intacts. Souvenirs d’auteur de BD, s’entend !
C’est en effet dans cette commune qu’il est né, en 1928, lui dont les encyclopédies savantes, guides spécialisés et autres sites de haute tenue bédéphile ne connaissent pas l’existence (sauf dans un cas précis dont on va reparler).
Comme d’habitude, dès qu’il s’agit d’auteurs de la presse quotidienne (nationale ou régionale), LA référence, c’est le travail effectué par le Tourangeau Alain Beyrand dont le Catalogue « De Lariflette à Janique Aimée » sert toujours de bible aux chercheurs du neuvième art. A ce travail de Bénédictin aussi efficace qu’inimité, il faut ajouter une série de numéros spéciaux de sa revue « Les cahiers de Pressibus » (Pressibus faut-il le rappeler est le nom francisé de l’un des personnages de la saga de Tom Pouce, saga qu’Alain Beyrand a contribué à faire sortir de l’oubli).
Dans la réédition de ce premier numéro daté d’août 1992*, le chercheur retranscrit l’entretien qu’il a eu avec Léon Mercier quatre ans auparavant, à Bourges, ville où le dessinateur, ou plutôt l’ ex-dessinateur s’est retiré. C’est sur ce travail que Case Départ** s’est appuyé pour raconter cette nouvelle histoire, qui bien entendu, n’intéresserait pas l’oncle Erwann si elle ne se déroulait, en partie, dans les colonnes de la Nouvelle République du Centre-ouest. Damned, mais c’est bien sûr !
L’histoire
Mambo (de juin 1958 à novembre 1959)
Même si les feuilletons disons « à l’eau de rose » ont une la vie belle dans les pages des journaux de province dans les années 1950-1975, les bandes animalières ont eu aussi leur part de succès. Au-delà de Mickey Mouse (dont la version française sera d’ailleurs publiée un peu partout en strips), la NR a ainsi vu défiler un petit chat blanc hollandais et son copain ours (Tom Pouce et Mister Bommel), un ourson danois amateur de crêpes arrosées au sirop d’érable (Petzi), un autre chat, noir cette fois, mais encore néerlandais (Nico), un canard « bien de chez nous » (aurait dit Jaboune) et ses potes de la mare (Napoléon).
Après avoir fait ses débuts (en 1957) dans les colonnes du Parisien Libéré, Mambo, le raton-laveur imaginé par Léon Mercier va donc vivre trois épisodes de ses aventures au royaume de Courléon dans les pages du jeudi de la Nouvelle République, qui publie, en même temps « Le Bossu » de Paul Féval (en feuilleton dessiné, bien sûr), du Bommel en veux-tu, en voilà, « L’aventure mexicaine » signée Marcello (oncle Erwann en reparlera), bref le grand jeu de cette période. Mambo va aussi s’illustrer dans les colonnes d’autres régionaux par la grâce de l’agence Mondial Presse de Cino del Duca qui vient de « débaucher » Léon Mercier qui jusqu’alors travaillait pour Opera Mundi : le Télégramme de Brest, La Montagne (Clermont-Ferrand), Sud Ouestdimanche (Bordeaux) et des titres belges et suisses publieront ces historiettes. « Jusqu’à quatorze journaux à la fois » assure aujourd’hui Léon Mercier, qui en est manifestement très fier.
Mambo donc, qu’il nomme ainsi « parce que c’était la mode de cette danse sud-américaine ». Cette danse venue à la fois du Congo et de Cuba fit fureur notamment en 1954 avec un tube « Mambo italiano » chanté par une certaine demoiselle Clooney, la tante du George, le roi de l’expresso.
Dario Moreno (oooooo !!!) s’y mit aussi sans compter les versions modernes de Dany Briant et Manu Chao. Décidément, on trouve vraiment de tout dans les rayons de Case Départ !!!
Les aventures de son héros à deux pattes, sorte de justicier plein d’humour, vont se situer dans un royaume imaginaire, celui de Courléon. « Parce que c’était mon village ». Un royaume sous l’autorité bien élastique de Gondulfe 1er, territoire imaginaire dont on aperçoit les hautes montagnes dans les cases, alors que l’altitude de la commune ne dépasse pas les 75 m. au dessus du niveau de la mer ; dont on distingue aussi les tours tarabiscotées du château et le clocher tout simple de l’église. Tiens, comme par hasard, c’est la seule véritable référence locale : l’église Saint-Jacques de Courléon…
Mambo sera donc un raton-laveur : « un raton-laveur, il passe à l’eau tous ses aliments » explique son créateur. « Il est aussi un peu voleur et quand il vole du sucre et qu’il le lave, il ne lui reste plus rien. C’est la leçon de la nature ! » Avec ses trois doigts et sa queue bicolore en panache, le héros de Léon Mercier a indiscutablement une allure à la Walt Disney. Plus de cinquante ans plus tard, le dessinateur ne renie pas cette influence disneyenne. « On faisait tous un peu la même chose » assure-t-il quand on lui parle de liens avec les personnages de Pif le chien, par exemple.
La Nouvelle République a publié trois histoires complètes de Mambo : L’oiseau magique, Le sérum X-01 et Le collier enchanté. Ce sont les trois seules recensées également par Alain Beyrand. Pourtant Léon Mercier affirme avoir écrit et dessiné quatorze épisodes dont le dernier Mambo et Koriolan n’a jamais été publié car jamais terminé, l’auteur s’étant lancé à corps perdu dans une nouvelle carrière de publiciste.
Ces autres titres sont peut-être les mêmes que ceux publiés en pocket par les éditions Mondiales où Mambo a pris le nom, cette fois, de Poucinet puis de O’Gust.
Léon Mercier date donc la fin de sa collaboration avec son raton-laveur de 1966. Dix ans de Mambo, de graves pépins de santé, et le dessinateur abandonne la BD. Mais pas le dessin.
L’auteur
Léon Mercier (né à Gizeux, Indre-et-Loire en 1928)
L’anecdote amuse toujours le vieux monsieur de Bourges. Lors d’un passage chez lui, en Anjou, alors qu’il prend un verre au bar-tabac du village, il entend des Parisiens en vacances, un journal à la main, interpeller le bistrotier : « C’est qu’il s’en passe des événements chez vous, dites-donc ! Mais qui est donc le dessinateur de toutes ces histoires ? » « Comme il m’avait désigné, j’en ai été réduit à donner des autographes… »
Léon Mercier, totalement inconnu aujourd’hui, un gros brin de célébrité bédéphile à l’époque. D’autant que juste avant Mambo, il a été le repreneur (scénario et dessins) d’une star du neuvième art, encore un animal, Félix le chat. En déshérance depuis des années après avoir été dessiné par Otto Messmer en 1923 aux Etats-Unis (mais imaginé par les studios de son patron, l’Australien Pat Sullivan dès 1919), le petit chat noir avait été récupéré pour la France par Opera Mundi qui relayait le King Features syndicate (KFS).
Pendant un an et demi, d’octobre 1956 à janvier 1958 dans France Soir, le Maine Libre et Hurrah, l’Angevin va imaginer des histoires en pleine liberté et faire vivre son chat dans un décor très proche de celui de Mambo. Mais, détail, sans jamais que sa signature n’apparaisse, ni d’ailleurs, celle d’Otto Messmer (ou Joe Oriolo qui va le seconder) mais uniquement la mention « créé par Pat Sullivan ». Submergé de travail, dans l’impossibilité de réclamer des droits d’auteur, Léon Mercier va alors quitter l’agence Winkler pour Cino del Duca. Sa griffe sur Félix le chat est aujourd’hui soit sommairement relatée dans quelques ouvrages spécialisés (c’est la seule mention de l’existence de Léon Mercier, cette liaison de quelques mois avec une star made in USA) soit contestée dans des termes pas très sympas… mais depuis le petit matou est retombé sur ses pattes et a vécu au moins neuf nouvelles vies après ce surprenant passage entre Anjou et Touraine…
Quant à Léon Mercier, après avoir fort bien gagné sa vie dans le dessin publicitaire entre Vendôme puis Bourges, et s’être frotté avec entrain aux dessins de presse, aux caricatures politiques dans le Hérisson ou France-Dimanche, il a pris sa retraite il y a près de vingt ans mais il est toujours aussi enthousiaste dès lors qu’il s’agit d’évoquer Courléon, son raton-laveur préféré et sa carrière d’auteur de BD. « Ma période » dit-il ! Et le blog Case départ est une encore fois encore ravi de rendre hommage à un auteur qu’il peut faire (re)découvrir et qui fit, lui aussi, les beaux jours des cases de la NR. M’enfin, de là à demander à l’oncle Erwann de danser le mambo…
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*On peut toujours se procurer les rééditions imprimées des Cahiers Pressibus sur le site d’Alain Beyrand.
** Entretien enrichi par un coup de fil récent à ce vieux monsieur à l’esprit vif qui n’a rien oublié de ce qu’il appelle « MA période ! ».