La place Taksim en état de siège, des manifestants qui se heurtent chaque jour avec la police, un gouvernement dur qui reste sourd aux aspirations d’une classe moyenne occidentalisée réclamant plus de libertés, voilà le paysage turc actuel de ce début du 21 e siècle.
A cette actualité géopolitique immédiate fait aujourd’hui écho Dérive orientale, un très bel album de Younn Locard, paru en mai chez la maison d’édition indépendante belge « L’employé du Moi ».
Nous sommes au printemps 1937. L’ancien empire ottoman lorgne désormais du côté de l’Occident. Mustapha Kemal a laïcisé les institutions et accordé aux femmes le droit de vote.
Ce sont ces changements que sont chargés de traduire Simon et Aillil, envoyés dans le pays par un grand journal londonien pour faire un reportage. L’un dessine, c’est Simon. L’autre écrit, c’est Aillil. Ce n’est pas là leur seule différence. Simon, d’un naturel inquiet, veut absolument honorer la commande qui lui a été faite: montrer aux lecteurs européens une Istanbul occidentalisée, moderne, débarrassée de ses démons, de ses djinns, bref de son « folklore » pour touristes…. Aillil, avide d’expériences, veut croire aux sortilèges et aime à se laisser porter par les mystères de l’Orient que semblent encore cacher la grande ville…
Ivresse et exotisme
Une fois sur place, les deux reporters vont faire de nombreuses rencontres. Et partir à la découverte des mystères de la ville. Ainsi avec cet Abdolfaz, sorte de prince autoproclamé qui va les emmener dans une antique citerne aménagée en lieu de débauche.
Là, les deux hommes vont entrevoir une autre Istanbul, pleine de vapeurs de haschich, d’opium et de danseuses lascives, expertes dans l’art de la danse du ventre…
Peu à peu, les deux journalistes vont se fondre dans la ville, l’un tentant de se défaire de cette ivresse un peu factice, l’autre semblant s’y plonger avec délices.
Au-delà de cette histoire, il y a l’atmosphère sensuelle de cette ville parfaitement restituée par le trait de Younn Locard, ses dessins noirs et blancs qui s’apparentent à la technique de la carte à gratter. L’auteur nous convie aussi à une réflexion sur le voyage, l’exotisme, notre vision du monde. Sans doute sait-il de quoi il parle puisqu’il a fait le tour du monde en dessinant. Cette « Dérive orientale en est l’un des fruits. A savourer…
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Dérive orientale
- Auteur: Younn Locard
- Editeur: L’Employé du Moi
- Prix: 16,50 €