Le point de départ de cette étrange découverte, c’est une étudiante en master de communication « Culture et arts du spectacle » à Toulouse. Cette jeune personne demeure dans un superbe petit village du Gard, à la limite du parc national de la Camargue, Crespian (358 habitants), où l’art de vivre, l’accueil et la convivialité sont inscrits dans l’ombre des vieilles rues, des oliviers et du chant permanent du vent et des cigales. Bon, c’est sympa, cette entrée en matière bucolique, mais où est-ce qu’on parle de BD dans tout çà ? Patience, on y vient. Oncle Erwann aime prendre son temps.
Donc, Andréa, qui défend la culture (pas celle des petits pois) en milieu rural, décide d’organiser une petite manif’, fin août, pour mettre en valeur les artistes locaux et les talents amateurs de ce petit bourg qui ne demande qu’à revivre.
C’est là où la BD commence à montrer le bout de sa case. Car, dans cette commune de Crespian, a longtemps vécu (de 1972 à peu près à la fin des années 2000), un peintre, professionnel lui, retiré dans le Languedoc, après une dépression provoquée par un drame familial.
Ce peintre a ouvert toute grande sa maison aux gens du village qui l’ont adopté comme il les a adoptés et il ne s’est pas passé une fête, un mariage, une célébration où il n’ait offert un tableau, un dessin, une esquisse. « Tout le monde ici, a quelque chose de Marco » raconte Brigitte, la maman d’Andréa qui l’a aidé pour monter son expo où elle va accrocher les toiles du Marco en question.
Et voilà qu’intervient Case départ. Brigitte Th. qui se renseigne un peu sur la biographie du sus-dit Marco sait simplement, comme tous les habitants de Crespian, qu’il a été – dans une autre vie dont il ne souhaitait pas parler – dessinateur de bandes dessinées. Elle cherche du côté du Net (comme tout le monde) et tombe sur une rubrique dans le site BD de « la Nouvelle République » : « Marc Cardus, l’un des maîtres prolifiques du feuilleton héroïco-romanesque ».
Bon dieu, mais c’est bien sur ! L’auteur (un certain oncle Erwann) y évoque un dessinateur espagnol peut-être bien retiré dans un petit village du Gard après avoir été l’un des auteurs les plus productifs de ces bandes dessinées en trois cases tirées des grands romans populaires. Son nom : Marc Cardus. Mais surtout, ce qui la frappe aussitôt, c’est la similitude entre les deux signatures : celle de l’auteur de BD largement reproduite dans les illustrations de Case Départ ; et celle du peintre préféré des Crespiannais, sur les multiples tableaux qu’il a pu leur offrir.
La maman d’Andréa contacte donc Case Départ en juillet et obtient confirmation de ce qu’elle avait pressenti. Marco est bel et bien Cardus. Dans la remarquable (et unique en son genre) encyclopédie des bandes horizontales françaises dans la presse quotidienne (qui date de 1995), le Tourangeau Alain Beyrand a recensé l’intégralité de la production immense de ce dessinateur d’origine catalane (né en 1924 à Barcelone) aujourd’hui totalement disparu des radars du neuvième art (sauf de ceux de quelques spécialistes en histoire de la BD)… mais qui a vécu une superbe deuxième vie à Crespian, ce lieu magique loin des intrigues et des difficultés parisiennes, là où personne, vraiment personne, ne l’a oublié.
En six années (de 1956 à 1962), ce stakhanoviste du strip va créer une quinzaine de séries différentes d’une amplitude moyenne de 300 bandes. Elles seront d’abord publiées dans les titres de la presse parisienne appartenant au groupe Cino del Duca qui avait fondé, dans l’immédiate après guerre, le journal Franc-Tireur lequel deviendra Paris-Journal puis surtout Paris-Jour (en 1959) avec ses deux pages quotidiennes de bandes dessinées.
Puis, grâce à l’agence du groupe, Mondial Presse, Cardus va être distribué (et publié) dans des dizaines de journaux de province (au moins jusqu’en 1972 !) aussi bien du nord de la France (Nord Ēclair, la Voix du Nord), que du sud (l’Espoir de Nice), de l’est (l’Alsace, Le Républicain Lorrain), de l’ouest (Ouest-France, le Télégramme de Brest) et du centre (La Montagne, Centre-Presse)… ou tant d’autres et bien entendu dans les colonnes de la Nouvelle République.
Dans la NR, on trouvera Les deux Diane (d’après Alexandre Dumas/359 bandes dont les 89 dernières assurées par un Italien, Fernando Fusco, lui aussi « redécouvert » par une association d’Aubusson, il y a quelques années et qui vient de rejoindre le paradis des grands pros des années 1960-70), Quentin Durward (d’après Walter Scott/366 bandes !), Le marquis de Villemer (d’après George Sand/126 bandes) et surtout cette bande policière L’inspecteur Dulong assez courte (136 bandes) qui a la particularité de la modernité puisque contrairement à toutes les autres, le dessinateur y a mis des phylactères – des bulles, quoi !
La rubrique de Case Départ se concluait (le 11 janvier 2013) par ces quelques lignes : En tout cas, alors qu’on n’en trouve nulle trace aujourd’hui dans l’histoire de la BD (mis à part une notule chez Lambiek et le vieux n°45 de Hop), Case départ est heureux de pouvoir, le temps d’une chronique, saluer [Marc Cardus] ce prolifique écrivain en images…
La trace du dessinateur de BD s’est perdue en 1962 (dixit les Belges du site spécialisé Lambiek), alors que la Nouvelle République publiait encore Quentin Durward (jusque fin septembre 1971). Mais la trace de Marco Cardus, peintre d’un village gardois nommé Crespian, elle, ne s’est jamais perdue. Et c’est avec un immense plaisir que Case Départ a découvert la résurrection languedocienne de cet auteur et qu’elle s’associe bien volontiers à l’hommage (posthume) qui lui est rendu grâce à Andréa et à Brigitte.
Merci mille fois à Brigitte d’avoir transmis à Case Départ ces documents du peintre Marco qui lui appartiennent ou appartiennent au propriétaire de la demeure où vécut Cardus à Crespian…