19 septembre 1914. J’ai visité le champ de bataille du côté de Sainte-Barbe.



19 septembre 1914.

J’ai visité le champ de bataille du côté de Sainte-Barbe. Là se trouvaient les obusiers allemands qui faisaient tant de vacarme quand j’allais à la bataille de Rambervillers. Il reste aux alentours de leurs emplacements des monceaux de paniers à obus, simples, doubles ou triples selon les calibres. A l’angle d’un bois j’ai trouvé deux abris confortables entièrement construits en paniers d’obus. Ici et là une tombe que l’on reconnait au petit monticule de terre et à la croix. Bien souvent quand il s’agit d’un soldat français, il y a, en place de croix, un canon de fusil ou une baïonnette fîchés en terre, surmontés du képi du mort. Les Allemands, que nous devons admirer pour déjà tant d’intelligentes initiatives, enterrent mieux les morts que nous. La croix qui marque la tombe est soignée. Elle porte le nom lisible du mort avec son grade, son régiment et généralement une inscription patriotique : « Mort pour la gloire de la patrie » par exemple.

De Sainte-Barbe, il ne reste que quelques murs. Ici aussi « les maisons ne font qu’un débris ». De l’église, il ne reste que les quatre murs et les colonnes. Pour pénétrer dans les décombres j’enjambe deux belles cloches dont le bronze s’est tordu sous la flamme. Mais je reste stupéfait : un délicieux miracle a voulu que le vieil autel tout en bois restât intact dans cette fournaise qui n’a épargné ni la pierre ni le fer. Je détache avec émotion la porte du tabernacle qui a été fracturée et qui en porte les traces et je l’emporte avec moi. Je trouve également une tête de Christ qui est tout ce qui reste d’un chemin de croix en terre cuite.

Dans une maison dont une seule pièce a été épargnée un pauvre vieux sabotier essaie de retrouver une casserole pour faire cuire le chou qu’il a trouvé dans le fossé voisin. Il est là tout seul : il m’explique en pleurant que le jour où son fils est parti à la guerre sa femme est morte et que son fils vient d’être tué dans les Vosges. Oh ! la solitude de ce vieil homme dans ce village silencieux, définitivement silencieux !…

Et je m’éloigne, portant sous mon bras la petite porte sacrée que l’autorisation du commandant me permet de soustraire à la moisissure ou à un nouvel effondrement.

 

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Cette entrée a été publiée dans Un Goncourt dans la Grande Guerre, avec comme mot(s)-clef(s) , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>