1er octobre 1914. Contrastes étonnants de la guerre.



1er octobre 1914. Badonviller

Contrastes étonnants de la guerre : ce matin je découvre le château de la Belle au Bois Dormant, cet après-midi je me mêle aux avant-postes du col de la Chapelotte. La féerie et la réalité !

– La féerie-

C’est au carrefour de trois étroites vallées aux pentes de sapins un grand chalet moderne. On y accède par un petit chemin creux qui vient d’Alencombe et l’on y arrive soudain, et l’on se frotte alors les yeux, et l’on se demande pendant un long moment si l’on ne rêve pas. A peine est-on convaincu que ce n’est pas un rêve que le trouble vous reprend : une femme charmante, du meilleur ton et de la manière la plus distinguée, vient vous accueillir sur le seuil. Aurais-je réveillé la Belle au bois dormant ? Madame Gény (quel nom pour une apparition !). Madame Gény ne dormait pas. Je ne l’ai donc pas réveillée. Elle dormait même si peu que dernièrement elle a été citée à l’ordre du 20ème bataillon de chasseurs pour sa hardiesse à guider les patrouilles à travers le dédale des sentiers forestiers. Pendant que son mari est aux armées elle est restée là, seule avec une cuisinière, tenant tête aux Allemands. (L’un d’eux ne voulait-il pas brûler le beau chalet pour faire taire le chien de la maison ?). En arrivant, je la trouve penchée sur des cartes de la région : elle suit passionnément la progression de nos armées. Elle me donne un renseignement précieux sur une position de l’ennemi auprès d’Angomont. Elle me donne aussi un verre de Malaga que je ne m’attendais pas à déguster dans un bois sillonné de patrouilles ennemies !

-La réalité-

Je quitte la maison forestière de Thiaville, où j’ai déjeuné en compagnie du capitaine Gresser, pour gagner le col de la Chapelotte où l’on dit que nous avons depuis quelques instants une section d’avant-postes. La Chapelotte était encore occupée par l’ennemi hier au soir ; j’en sais quelque chose puisque c’est de là qu’hier l’ennemi tirait sur le capitaine de chasseurs et moi.

Pour cette expédition il faut que je renonce à être médecin ; je quitte mon brassard de neutralité et je prends un fusil. C’est d’ailleurs comme cela que j’opérerai dorénavant. C’est un peu  mesquin  d’être « neutre ». Caussade est bien suffisant comme médecin au bataillon, en dehors des jours de combat.

Et me voilà parti. Ah ! on ouvre l’œil et l’oreille quand on traverse une forêt, seul avec son fusil, exposé à la surprise d’une patrouille ! Je n’entends rien, je ne vois rien… Mais sur le sable du sentier je relève la trace toute fraîche du passage de quatre Allemands :

On la distingue de la trace des Français à ce que l’empreinte des semelles porte la marque du talon ferré spécial aux Allemands.

J’arrive ainsi sans encombre au col de la Chapelotte où je trouve l’adjudant Amiot avec une section. Les hommes sont dissimulés derrière les arbres, derrière des fagots, derrière les plis du terrain. Pas un mot. Pas un geste. L’ennemi ne peut vraiment pas se douter du piège qu’on lui tend. Malheureusement il n’y tombe pas et pendant les deux heures que je passe là, prêt à tirer sur le premier « musketier » qui se présentera. (C’est moi qui l’ai « réservé »). Je ne vois rien venir. L’endroit est bien beau. Il y a là une petite chapelle (chapelotte) de goût allemand et une sorte de ferme-auberge qui est un but d’excursion célèbre dans la région. D’un rocher qui domine (la Croix-Charpentier) on plonge sur Bionville et la vallée de Celles et l’on voit – comme il est proche !- le grand trapèze bleu du Donon barrer l’horizon.

En fouillant le ravin qui se trouve à droite de la route, je découvre de nombreux débris du zeppelin qui a été abattu là au mois d’août par les chasseurs.

Je redescends par la route d’Allarmont jusqu’à Badonviller ; en cours de chemin je rencontre les capitaines Dufour et le Folcalvez, de la 7ème et 8ème compagnies qui recueillent mes renseignements sur les positions de l’ennemi.

Ah ! comme je me plais plus dans ce rôle de patrouilleur que dans celui de neutre. Mais le pli en est pris. Le commandant approuve. Je jette mon brassard blanc et rouge aux… orties ! A moi l’aventure !

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