24 novembre 1914. Belleu
J’ai passé la nuit dans un grenier, sur un matelas, entre deux claies chargées de pommes et sous des chapelets d’oignons.
Le canon se taisait. Il n’en était que plus redoutable, les Allemands se tenant silencieux avant les bombardements. Mais la nuit s’est passée sans que nous fussions inquiétés. Comme c’est frêle un toit, quand les obus de 210 le menacent ! Et comme on dort mal sous cette coquille et sous cette menace, surtout par une nuit de grand gel !
Le matin, nous apprenons qu’à Crouy la compagnie Dufour a été éprouvée : l’adjudant Monville (qui s’empara naguère des fameux bandits Bonnot et Garnier) a été mis en morceaux par un obus, le capitaine a la joue endommagée, plusieurs troupiers sont tués.
La journée se passe dans l’attente de quelque chose… qui ne se produit pas. Le ciel est noir. Il tombe des petits brins de neige. Les canons tirent de temps à autre. Les Allemands bombardent encore Soissons et les environs de la batterie qui se trouve dans les bois près de nous. Je vais jusqu’au faubourg de Soissons. Je vois dans un champ devant une bicoque des enfants qui se sont creusé, contre les obus, une tranchée miniature du modèle des nôtres. Ils s’amusent énormément : pensez ! trois obus sont tombés là, tout près, presque sur eux. Ils en attendent d’autres, impatients de mettre leur tranchée à l’épreuve.
Il n’y a bien que les enfants pour être mis en gaîté par ces événements pénibles…Les malheureux n’imaginent pas ce qu’ils risquent si jamais leurs petites tranchées devaient recevoir des obus de 210…