13 décembre 1914. Dès le jour, l’artillerie recommence de tirer



13 décembre 1914. Berry

Dès le jour, l’artillerie recommence de tirer, les obus recommencent d’éclater autour de ma bicoque, particulièrement dans un potager dont tous les poiriers en quenouille et tous les pommiers en cordon gisent à terre. Mais quels beaux trous creusés là pour replanter des arbres fruitiers au printemps prochain !…

Par un chemin creux, dans une boue indescriptible, je gagne la carrière où se trouve en réserve la 8ème compagnie. Escorte d’obus, dont l’un en éclatant percutant me couvre de mottes de gazon… Juste derrière nos tranchées de première ligne des pièces de 75 sont là, dissimulées sous des branchages. Elles tirent. On leur répond. Mauvais passage. Partout des entonnoirs, des débris d’uniformes, des jambes de pantalon hâtivement coupées par un infirmier pour panser une plaie… Et puis un détail curieux : comme c’est par ce chemin creux que montent aux tranchées de feu les corvées de soupe, de nombreux boutehons gisent dans la boue, déchiquetés par des shrapnells et l’on voit par-ci par-là un petit tas de haricots, quelques beefsteaks…

La 8ème cie. loge dans un de ces magnifiques temples souterrains creusés sous les plateaux du Soissonnais. Il y fait chaud, mais la vie dans cette obscurité sépulcrale doit être très démoralisante… Les troupiers y sont silencieux, pâles, maigres… Des obus tombent sur la voûte : on ne les entend même pas éclater.

Là j’apprends que le lieutenant Mertiault du 3ème bataillon a été tué hier soir d’un éclat d’obus. Un homme de valeur, brave, et qui portait en guise d’épée un sabre très aiguisé de samouraï. Je l’imagine gisant dans la boue jaune de la tranchée, le visage noirci au cirage de la poudre… Cette guerre devient de plus en plus laide. Impossible d’auréoler de beauté ce lieutenant déchiqueté, boueux et sanglant, si beau encore hier, avec ses yeux si intelligents… Impossible de lui appliquer les vers fameux de Théodore de Banville :

Heureux qui, jeune, à son aurore,

Embrassant la Mort détestée,

Tombe dans le combat sonore

Pour sa patrie ensanglantée

………

La Gloire, souriante et pure,

Admirant sa fière jeunesse,

Vient baiser sa rouge blessure

Avec ses lèvres de Déesse.

Ah ! quelle guerre dans l’immobilité et dans la boue des boyaux !…

Je suis allé faire ma visite au colonel du 44ème qui loge dans une ferme à 200m de mon poste. Brave aux crins blancs, il s’est battu en Alsace, où il a eu une balle dans le ventre, et en Seine et Marne, comme un lion.1 Il me montre le mur d’enclos du jardin criblé de trous faits par les balles surtout nocturnes. On dirait le mur d’un vaste peloton d’exécution. Elles tapent là comme sur ma bicoque en pleine course. « C’est assez gênant, me dit le colonel, ça m’empêche de bien tailler ces pêchers… » Et il me montre les pêchers d’espalier qui couvrent le mur. Ce guerrier fougueux est un passionné des choses du jardin : « Hein ! me dit-il, avez-vous visité le Jardin d’Horticulture de Soissons ? Voilà un jardin d’horticulture !… » Tin !…fait une balle. Et elle vient creuser dans le mur à deux mètres de nous un petit creux conique…*

Image18

Pendant l’après-midi, nombreux obus autour de ma masure ; quelques balles de shrapnells viennent frapper les murs, mais rien de grave.

Mon pied blessé hier me fait très mal. L’ongle du gros orteil tourne au noir.

Le jour tombe. La fusillade se précipite. […]

1

Il a été tué à Crouy le 13 janvier 1915, en tête de son régiment.(Note de Bedel, ajoutée au crayon).

 

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