5 avril 1915. Saint-Julien près Courtisols-
Passé la journée à Châlons avec Plaisant et Boby. Partis dans le break du bonhomme marchand de vins chez qui est notre popote et chez qui je loge. Vu à l’hôtel-Dieu Neumeyer blessé et sa jeune femme à son chevet. Déjeuné excellemment à l’hôtel de la Haute-Mère-Dieu, où Plaisant- qui s’y entend singulièrement- adapte à chaque plat nouveau un nouveau vin (Pouilly, Saint-Estèphe, Moulin-à-vent, Corton). Rencontré nombreux embusqués, des sympathiques qui ont l’embuscade joyeuse et « bon enfant », des antipathiques qui l’ont hautaine. Acquisitions dans les bazars, chez le pâtissier, chez le marchand d’escargots, chez le libraire, chez le marchand de tabac.
Retour dans une charrette marocaine, conduite par un nègre, autour de laquelle s’attroupe toute la badauderie de la rue de Marne qui nous fait un gros succès.
Un épicurien raffiné Maurice …
Pauvre hôtel de la Haute Mère Dieu, quel fin lamentable, abandonné depuis des lustres et risquant la démolition pure et simple, après tant d’années de gloire hospitalière et gastronomique…
Les généraux importants de 14/18 s’y retrouvaient souvent, le général Pétain était un habitué de la chambre N° 21 où il recevait en toute discrétion son amie d’enfance Eugénie Hardon, devenu Madame Pierre de Hérain…
Il y dînait en sa compagnie dans la grande salle à manger avec l’appétit solide qu’on lui connaissait, souvent avant de repartir en catastrophe pour son QG de Souilly, quand les affaires tournaient mal et que le brave Serrigny était venu interrompre le charmant tête-à-tête…