23 et 24 mai 1915 : la vie en deuxième ligne



Le dimanche 23 mai 1915
Les deux sections de première ligne viennent en deuxième ligne et sont remplacées par les deux autres sections. Ma section est échelonnée en 2ème et en troisième ligne et nous avons quelques abris. Dans la journée nous faisons diverses corvées pour la première ligne. Lancement de crapouillots et canonnade. Le sergent Guidot a fait une patrouille.
Le dimanche 23 mai 1915 — 12 heures

Chère Eugénie,

Voilà trois jours complets passés en tranchées et passés en première ligne. Ce matin, je suis donc revenu en deuxième ligne, c’est à dire à environ 100 mètres en arrière dans une seconde tranchée garnie de créneaux également, mais dans laquelle il y a beaucoup moins de service à prendre, parce que nous sommes protégés par la première ligne qui est en avant de nous. Il y a quatre sections dans la compagnie et il y en a toujours deux en première ligne et deux en seconde ligne ; de cette façon, nous sommes chacun trois jours en première ligne, c’est moins fatigant pour tout le monde.

 

Je suis donc en deuxième ligne pour trois jours, après quoi nous irons au repos pour six jours à 2 ou 3 km en arrière. Là seulement, nous pouvons nous mettre à notre aise, tandis qu’en tranchée de première ou de deuxième ligne nous devons toujours être équipés et prêts à faire feu.

 

Tant que ça va régulièrement comme je te l’indique, et que nous ne faisons que garder nos positions, ça va tout seul, nous ne sommes pas trop malheureux ; ce qui est difficile et dangereux, c’est quand il faut passer par‑dessus la tranchée de première ligne pour aller attaquer les tranchées ennemies qui sont en face de nous et organisées de la même manière, c’est là qu’il y a de la casse. Il y a plusieurs mois que cela ne m’est pas arrivé, depuis longtemps nous ne faisons que garder nos positions, et pour cause.

Je me porte toujours bien mais forcément j’ai moins d’appétit car il fait une grande chaleur ces jours-ci. Le temps est superbe, c’est bien dommage d’être à la guerre.

Il y a quelques jours, trois de mes camarades de la 5ème escouade qui étaient venus sur le front avec moi le 2 octobre ont été blessés tous les trois ensemble par un pétard. Ils ont été évacués à l’arrière, et l’un d’eux m’a écrit hier ; il est à Limoges, et en cours de route on lui a demandé où il voulait descendre. Si j’avais été avec lui, j’aurais pu descendre à Tours et peut-être à Bourgueil. Si l’occasion se présentait, je m’empresserais d’indiquer mes préférences. De tout cela, j’aime mieux ne pas être blessé, ça vaut mieux que toutes les convalescences.

Auguste est toujours ici et se porte bien.

Nous ne pensons bientôt plus à la fin de la guerre, cela nous semble si loin, et puis nous sommes tellement habitués à cette vie que nous pouvons à peine croire que nous redeviendrons civils. Pourtant les choses paraissent vouloir s’améliorer. L’Italie est définitivement de notre côté, et sa déclaration de guerre ne peut plus guère attendre.

Nous sommes maintenant munis de masques contre les gaz asphyxiants et si les Allemands veulent en user contre nous, nous les attendrons en toute sécurité.

J’ai reçu aussi hier une lettre de Marcel Méchain, il se porte bien. J’ai reçu avant-hier une lettre de Madame Bindé.

Nous voyons tous les jours des aéroplanes français et allemands au‑dessus de nos tranchées, nous n’y faisons même plus attention.

Je te souhaite un cordial bonjour ainsi qu’à Georges père et fils.

Ton frère qui t’aime. ‑ H. Moisy
Le lundi 24 mai 1915
Nous avons repos toute la journée en laissant seulement quelques sentinelles aux embranchements de boyaux. Canonnade de 105 allemands. Le secteur est assez calme pendant le jour mais il y a presque toujours fusillade la nuit. Lancement de fusées éclairantes du soir au matin au moindre bruit suspect. Temps très chaud depuis 4 jours.

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