12 septembre 1915. Refuge du Rheinkopf
Comment s’arracher au spectacle des belles vallées d’Alsace ? Je passe des heures suivies d’autres heures à contempler ce spectacle nouveau de la guerre. Ah ! les décors plats, hideux, désolés de la Champagne !… Mourir à Mesnil-les-Hurlus et mourir à Metzeral… Mort hideuse et mort glorieuse… Je les oppose dans mon esprit. Je me félicite de n’avoir point trouvé la mort dans les craies puantes des Hurlus, dans le sable rouge des Hauts-de-Meuse… Mourir ici ! Quelle belle mort ! Avoir sa petite tombe à l’ombre d’un sapin d’alsace, se désagréger dans cette terre qui porte un vêtement d’anémones et d’airelles…
Je descends déjeuner à Not-Dessus, en France, hameau vosgien au bord de la Moselotte. Là cantonnent les jeunes soldats du 170ème et du 149ème qui travaillent chaque jour sur les cimes où je demeure. C’est la classe 16 qui se familiarise avec le bruit du canon. Je retrouve là un ami du temps de mes études le Dr Viguerie qui se voit bien surpris d’être mon chef de service.
Je regagne le Rheinkopf en passant par le petit lac de Blanchemer, tout rond au fond d’un sombre entonnoir de sapins. Là est le port d’attache d’un ballon captif, gros comme un cantaloup de bonne taille. Des obus viennent de temps en temps troubler ce paysage de Contes d’Hoffmann.