16 septembre 1915. Schmargult
Dans la nuit le temps s’est levé. Ce matin j’ai fait le tour de mes postes. Je suis le chemin qui va du Hohnek au Rheinkopf par Breitsouzen. C’est charmant. C’est du tourisme. Les feuillages rouges des myrtiles font sous mes pieds un tapis merveilleux. Les petits hêtres rabougris du Kastelberg deviennent dorés. Le lac de Blanchemer tout noir au fond de son entonnoir a l’air d’un de ces lacs de légende, sans fond, où gémissent, la nuit, les trépassés du temps de Blanchefor. Mais le canon gronde qui rappelle à la réalité.
L’après-midi je descends avec Charruey les pentes alsaciennes du Kastelberg, vers Metzeral. En face de nous se dessinent sur les pâturages les dessins bizarres des tranchées d’Ober-Breichenbach qui allongent leurs postes d’écoutes devant elles comme fait devant lui un escargot de ses cornes. Les Allemands sont dans un bois allongé vers lequel montent les pâturages. De Metzeral en ruines on voit partir les boyaux. Mais de notre belvédère, cependant bien placé et dominant de 400m le terrain en question, nous ne voyons rien bouger dans ce coin d’Alsace où se joue une des scènes du grand drame de la guerre. Rien dans ces sillons gris, pas un geste, pas un bruit.
Du côté du Linge et du Schratzmaenell, au contraire, bombardement aux gros obus et ploploplo de mitrailleuses qui indiquent une attaque. Le linge ! Ce coin du front raconte à lui seul toute l’atroce âpreté de la lutte qui se déroule de la mer à la Suisse. Le terrain semble retourné à la pelle ; de la forêt de sapins qui le recouvrait il ne reste que quelques troncs ébranchés et brisés. En bas, Munster se recroqueville sous l’orage. Une usine y brûle. Les clochers sont intacts.