17-18 octobre 1915 : le spectacle et l’approche de la mort donnent à réfléchir



Le dimanche 17 octobre 1915
Continué à creuser les boyaux jour et nuit. Vu aéros et Taubes. Très beau temps. Le soldat Danet est blessé.

Dimanche 17 octobre 1915 – 13 heures

Ma chère Eugénie,

Reçu hier soir ta lettre du 10. Je vois que tu es toujours très occupée et que si la guerre est dangereuse pour moi, elle est aussi bien fatigante pour vous tous, en raison du surplus de travail qu’elle vous impose. En dehors des victimes de la mitraille, la guerre fera, à l’intérieur, des victimes du surmenage et de l’épuisement.

Ici, nous creusons des tranchées et des boyaux la nuit, pour qu’on ne nous voie pas jeter la terre, et nous nous reposons le jour, tout en surveillant les voisins d’en face, que je n’ai pas encore vus depuis huit jours que je suis à 60 m d’eux. Nous posons aussi du fil de fer barbelé en avant de nos lignes.

Vendredi dernier, vers 15 h, à 7 ou 800 m de moi, un aéroplane allemand a été abattu par nos obus ; je l’ai vu tomber à terre en tournoyant. C’est le premier que je vois tomber depuis le début de la guerre. Toute la journée, nous voyons des aéroplanes français et allemands, ce n’est en l’air qu’un ronflement de moteurs.

Le temps est très beau depuis quelques jours, les nuits sont froides. Je saurai bien demander au moment voulu les effets d’hiver qui me seront nécessaires.  – Je me porte toujours bien.

Bonjour et bon souvenir de ton frère qui t’embrasse. ‑ H. Moisy
Le lundi 18 octobre 1915
A 1 h nous posons des fils de fer en avant des P[etits] P[ostes]. Pour enfoncer les piquets nous sommes obligés de mettre des sacs pliés sur la tête des piquets pour amortir le bruit des coups. Violente canonnade allemande sur les boyaux de corvée vers 15 h. Le soldat Chartrain est tué. Le colonel est passé dans les tranchées et a distribué des cigares. Rafale de minenwerfer pendant 30 minutes à la 6ème compagnie. Temps froid et couvert.
Lundi 18 octobre 1915

Mon cher père,

Je vous écris par une matinée froide et un brouillard épais ; pour la première fois j’ai eu froid aux pieds une partie de la nuit et pour vous écrire j’ai froid aux mains, c’est la mauvaise saison qui arrive à grands pas. Depuis six mois nous n’avions plus à souffrir du temps et pour nous y refaire ce sera aussi dur que l’année dernière. Et puis si nous restons dans la région où nous sommes en ce moment, il ne nous sera pas facile de faire du feu, puisqu’il n’y a pas un seul morceau de bois ; à perte de vue ce ne sont que des champs incultes couverts de rameaux sec, de carottes sauvages, et sillonnés dans tous les sens de tranchées et de boyaux. Il n’y a aucun abri naturel et le moindre souffle d’air nous arrive de partout.

J’ai appris hier soir par une lettre que j’ai reçue d’Eugénie, que M. Leroux, vétérinaire à Bourgueil était mort le 12 octobre, et qu’il avait demandé le prêtre avant de mourir. C’est que le spectacle et l’approche de la mort donnent à réfléchir. J’en sais quelque chose depuis 14 mois ½ et surtout en ce moment où j’ai constamment des cadavres sous les yeux. Il y a à 40 m en avant de ma tranchée une rangée de cadavres couchés et presque alignés. On dirait une ligne de tirailleurs attendant le moment de se porter en avant. Ils ont été couchés là par la mitraille et ils y sont depuis le 25 septembre. Comme ils sont entre les deux lignes, on ne peut pas aller les enterrer. Il y a cinq jours j’en ai enterré 7 qui étaient plus près de la tranchée. Avec des exemples comme ça il faut être prêt à tout.

La canonnade est toujours vive de part et d’autre. Nous voyons toujours beaucoup d’aéroplanes.

Je me porte bien. Depuis le 9 octobre je n’ai pas mangé d’aliments chauds, je ne me suis pas non plus lavé la figure ; ma capote est couverte de terre et de poussière, il vous faudrait nous voir.

Mon cher père, je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur.

Votre fils – H. Moisy

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Une réponse à 17-18 octobre 1915 : le spectacle et l’approche de la mort donnent à réfléchir

  1. GUILLOTEAU,Michel dit :

    A l’approche de la mort,
    Quand on voit le cinéma que l’on fait actuellement quand quelques militaires sont victimes (malheureusement) au cours d’une opération à l’extérieur – cours des Invalides, légion d’honneur, Président de la République- et en 1915 des alignements de cadavres dans l’indifférence générale. (Je suis ancien militaire ancien d’Indochine, ce n’était guerre mieux)

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