26 octobre 1915. Schmargult
Il s’est abattu cette nuit sur notre région une bourrasque du nord-est qui a recouvert les arbres, les herbes, les mousses, les moindres objets d’un givre extraordinaire. Sous le poids de cette glace les arbres se courbent, des branches énormes se brisent. On dirait, à voir les hêtres ainsi caparaçonnés, des candélabres aux branches envahies par la cire des bougies. Un vieux sergent barbu a dû faire fondre devant le feu sa barbe qui ne formait plus qu’un bloc qu’on aurait pu casser au marteau. Les fils téléphoniques se sont rompus sous le manchon qui les enveloppe. J’ai trouvé des toiles d’araignées « glacifiées » que l’on pouvait briser menu comme du verre filé. Et devant cette extravagance des éléments, cette puissance des jeux de l’atmosphère, je songe aux pauvres petits obusiers de 420, aux minuscules nuages de gaz asphyxiants, aux piluliformes (sic) grenades à mains, à toutes ces inventions que l’homme dans son orgueil qualifie de formidables, de colossales, qui lui font lever les bras au ciel en s’écriant : « Où allons-nous, Où allons-nous ? » Comme si la puissance des guerriers devait détruire, bouleverser, pulvériser la terre ! Que sont dix millions de coups de canon auprès d’un seul coup de vent ?