Le samedi 13 novembre 1915
Je suis de jour. Même corvée qu’hier au Nouveau-Cottage. Pluie toute la journée. Retour des permissionnaires du 3.
Samedi 13 novembre 1915
Mon cher père,
J’ai reçu hier votre longue lettre datée du 8 novembre, et je vous remercie de tous les renseignements que vous me donnez. D’abord votre santé, je vois que vous êtes toujours aussi solide que par le passé puisque vous pouvez toujours labourer. Autant que possible ne vous laissez pas souffrir tant que vous pourrez faire quelque chose pour vous soulager.
Vous ne me dites pas à qui le champ de La Baillie est affermé, il est vrai que ça ne me regarde qu’indirectement.
Je vois aussi que vous avez reçu toutes les cartes à mon adresse que je vous avais expédiées pour les conserver. Vous avez aussi reçu les cartes et les lettres que je vous ai adressées pour vous donner de mes nouvelles. Comme je n’ai pas reçu beaucoup de nouvelles de Bourgueil depuis 20 jours je supposais que mes lettres n’arrivaient pas. Puisque vous avez reçu les 20 francs que je vous adressais le 2 novembre vous pourrez les employer à rembourser Eugène des frais de jugement qu’il a payés pour moi, je paierai le surplus à mon retour. Je suis heureux également que vous ayez reçu le petit livre de Triaucourt.
Pour le vin, comme il n’y en a pas beaucoup, je crois qu’il n’est pas pressé d’en vendre, à moins que les prix aient une tendance à baisser beaucoup. Vous jugerez bien mieux que moi de ce qu’il y aura à faire. Vous pourrez manger les beaux raisins que j’avais mis en sacs, ne les conservez pas trop longtemps pour qu’ils se gâtent et ne m’en envoyez pas, ils arriveraient écrasés, je n’avais pas profité de ceux que vous m’aviez envoyés l’année dernière.
Vous devez avoir du travail pour toutes vos veillées, avec tant de pois à trier. Que je souhaiterais aller vous aider, à côté d’un bon feu.
Je me trouve en ce moment et depuis trois jours en réserve, c’est pour ainsi dire du repos, mais il y a des corvées tous les jours pour aller faire des boyaux, des tranchées et des abris. Depuis que nous sommes ici il pleut continuellement avec du grand vent jour et nuit.. On marche dans la boue par-dessus les souliers et la capote est toujours mouillée. On commence à se dégoûter de la vie en plein air.
Vous me dites dans votre lettre qu’il faut que j’aie de la résignation jusqu’au bout. Il en faut vraiment pour supporter sans murmurer les souffrances qui nous sont imposées. L’été, ça n’a pas été bien pénible de mener la vie de tranchées mais à présent c’est autre chose. Tous ceux qui, comme moi, ont passé l’hiver dernier en entier et qui n’ont jamais été évacués depuis, n’ont plus le moral aussi bon qu’il y a quelques mois. Et même pour tout le monde le vœu le plus cher en ce moment c’est la fin de toutes ces misères, que la victoire soit complète ou non. On ne voit dans les journaux que des articles, des discours annonçant la paix par la victoire seulement. Pour celui qui est à Paris ou à l’intérieur et qui lit le communiqué auprès de son feu, il est très facile de dire que nous aurons la victoire ; qu’ils viennent nous remplacer pendant trois mois dans les tranchées, peut‑être changeront‑ils d’avis. Pas un seul de ceux qui parlent ainsi n’ont à souffrir de la guerre. Vous allez vous étonner de me voir écrire ces choses moi qui ai toujours été patriote et dévoué autant qu’on peut l’être. C’est que la résistance humaine a des limites, et qu’on ne peut pas mener indéfiniment une vie d’animaux. Et pourtant il faudra y rester peut-être encore longtemps. Le moins sera le mieux.
Je me porte bien, je peux me procurer de temps à autre quelques camemberts pour améliorer mes repas et je mange bien. En ce moment, si nous sommes mouillés dans la journée, nous avons au moins toutes nos nuits tranquilles.
Auguste a été évacué hier, depuis quelques jours il mangeait peu et ce ne sera sans doute pas grand’chose. Je ne sais quand nous irons au vrai repos, dans 3 jours ou dans 9 jours. J’ai eu hier, en même temps que la vôtre, une lettre d’Eugène.
Pensez à l’entretien des bâtiments, et par ces temps de pluie, veillez à ce que tout soit bien couvert et que les gouttières ne soient pas percées ou pleines de feuilles mortes.
Agréez, mon cher père, l’expression de mes sentiments affectueux.
Votre fils – H. Moisy
Je vous envoie une enveloppe écrite, quand vous voudrez m’écrire, vous pourrez le faire seul.
Le dimanche 14 novembre 1915
Corvées de terrassement autour du cantonnement. Chute de neige toute la matinée. Temps très froid.
Le lundi 15 novembre 1915
Préparatifs pour retourner aux tranchées. Départ de permissionnaires (13 à la compagnie). Temps froid. Chute de neige. Quitté la Maison Forestière à 17 h, nous arrivons aux tranchées de l’ouvrage 52 à 18 h. Ma section est installée à droite et est toute logée dans des abris.
Le mardi 16 novembre 1915
Repos. Nettoyage des boyaux et tranchées. Canonnade allemande à 17 h. Temps froid. Neige.
eh oui la résistance humaine a des limites…Pourtant on lui demande beaucoup et certainement trop à cette résistance, voilà pourquoi le moral tend à baisser…
Malheureusement la fin du drame n’est pas pour demain …!
Et tous ces embusqués et embuscadins qui se pavanent à l’arrière, aux terrasses des grands cafés , dans les restaurants et les lieux de plaisir, souvent avec des » poules », ce n’est pas fait pour remonter le moral du combattant de première ligne, du malheureux » bobosse » qui encaisse tous les mauvais coups venus d’en face…
Le combattant de première ligne est bien au courant de toutes ces turpitudes, dans un avenir pas si lointain, la terrible année 1916 passée, et ajouté à d’autres injustices flagrantes , cela générera de grandes difficultés au commandement…