17 avril 1916.
Clair de lune intense sur le lac et sur les neiges. Décor de nuit d’amour, barques aux couples enlacés, têtes blondes abandonnées sur des épaules… O nuit romantique et romanesque, nuit des Roméo, des Cyrano et des rossignols, belle nuit d’Alsace, fallait-il donc que tu fusses une nuit de mort ? Jamais l’obus ne m’a paru plus grossier, plus intempestif que ce soir. Il tombe des engins bruyants dans la forêt et c’est pitié de songer que le beau manteau blanc des sapins s’éparpille au vent brutal des explosions… J’entends sur le sentier de ma cabane un gémissement douloureux. La plainte approche. J’aperçois aux rayons de la lune un homme qui avance péniblement sur la neige gelée. Il tient sa mâchoire dans sa main. Du sang s’écoule en longue bave de sa main vers la neige. Un éclat d’obus vient de lui fracasser la mâchoire supérieure. Barbouillé de bave sanglante, il est hideux. Sa plainte ressemble à un râle. A la lueur d’une bougie, je le soigne, je l’emmaillote dans de la belle ouate blanche. Alors il devient beau et déjà réconforté par ma facile familiarité et mes descriptions d’hôpital, d’infirmières, de draps blancs et de convalescence, il pèse les joies de l’évacuation.*
Le malheureux, pas facile d’apprécier les « délices » de la cuisine d’hôpital avec la mâchoire fracassée…Souhaitons-lui cependant cependant d’avoir le plaisir de contempler les jolies infirmières…
Si c’est le cas, car il y a aussi parmi ces escadrons de filles et jeunes femmes dévouées, de vieux dragons peu amènes…