1er mai
Sous le soleil et sous le vent, la terre des créneaux de Sillackerwasen, s’effrite et s’éparpille, et il apparaît que les parapets étaient construits en cadavres allemands. On voit peu à peu se dégager des crânes, des mâchoires, des humérus… Je trouve un crâne entouré de trois mâchoires. Auprès de lui une boite de cigarettes « Khédive ». Une vertèbre, ici, une omoplate, là… Beaucoup de bottes contenant les os de la jambe, des manches de vestes allemandes contenant les os du bras. Ce n’est pas horrible. Tous ces os sont très blancs, très secs. En quelques mois les fourmis, les rats, les renards ont fait table rase de toute la chair. Le Sillackerwasen est livré aux renards. Ils enfoncent dans le parapet des tranchées de profonds terriers et se livrent nuitamment à de vampiriques festins. Ils éparpillent les os, portent les jambes ou les bras au cœur des buissons de genévriers. Et je songe aux familles qui se bercent de l’espoir d’exhumer plus tard leurs morts !…
Je descends vers Metzeral par les pentes de 830. Quelques bouleaux mi-intacts se couvrent de petites feuilles qui me servent d’écran contre les mitrailleuses de l’Ilienkopf. Je refais le chemin parcouru les 16 et 17 juin par les troupes élancées du Sillackerkopf, s’emparant du Sillackerwasen, de 830, dégringolant vers la Fecht, arrêtées au cimetière de Metzeral par trois mitrailleuses infernales, puis rebondissant, prenant Metzeral maison par maison, grimpant les pentes de l’Ilienkopf et du Petit-Braunkopf et s’arrêtant enfin à bout de souffle et à bout de munitions sans qu’aucun renfort arrive exploiter leur succès inouï.
Metzeral, allongée dans les prés, ressemble au squelette d’un serpent.
ces braves goupils, leur proverbiale gloutonnerie ne leur permet pas de faire la différence entre la chair humaine et celle de leurs congénères…
quelle tristesse future pour les familles…