6 juillet 1916. La préparation de l’attaque du Bois-Noir commence.



6 juillet 1916.
17h : Braoum ! ououououm !… Broum ! Braoum ! Brabraoum !… Broum ! ouam… ouam… ouam !…
La préparation de l’attaque du Bois-Noir commence. Il fait une jolie fin d’après-midi d’été. Les sommets sont mauves. Les tranchées sont roses. On va se tuer. On tue déjà. Toutes les batteries du secteur sont déchaînées en un terrible tonnerre, tonnerre des départs, tonnerre des arrivées, tonnerre surtout des échos. Sont en action les batteries de 75, de 90 et de 120 de Gaschney, les 120 et 155 de Montabey et du Tanet, les 155 de la route de 830, les 120 et les 90 de la Wurmsa, les 65 de 830, les 75 de Mittlach et de 700, les 120 et les 155 de Breitfirst et d’autres encore, d’autres que j’ignore. Le concert est d’une grande et belle ampleur. J’y assiste de mon poste de secours de la batterie de 155 courts de la route de 830. Quel vacarme ! Quelle fumée ! Les trois pièces sont l’une derrière l’autre, en plein milieu de la route ! Les servants font le va-et-vient, portant sur leur épaule les énormes obus jaunes, avec leur petite fusée noire qui ressemble à un bouton de sonnette électrique à pression. Sur un coup de sifflet trois fois répété les trois coups partent dans un nuage bleu et nauséabond. On voit l’obus filer par-dessus l’arête orientale du Sillackerkopf et descendre à pic sur le Bois-Noir. Le tir se fait à 2.680m. Il est si plongeant que les deux premiers obus tirés ne s’étant pas élevés suffisamment ont rencontré à 100m du départ des sapins et l’éclatement s’est opéré, dans une confusion générale de tous les canonniers.
L’ennemi réagit en bombardant violemment le sommet de l’Hilsenfirst, et bientôt en accablant le Braunkopf, point de départ de l’attaque, de centaines d’obus et de boîtes à mitraille. Mittlach est également bombardé et incendié.
A 18h30, les quatre-vingts volontaires qui se sont présentés pour la besogne s’apprêtent à quitter la tranchée. Ils sont commandés par un très- brave, le lieutenant Régnier, cavalier passé dans l’infanterie, cité, chevalier de la légion d’honneur. Ils ont enlevé le numéro de leur régiment écussonné sur leur capote afin que l’ennemi ignore qui les attaque (comme s’il ne le savait depuis longtemps !) ; au bras gauche on leur a cousu un large brassard blanc afin que les observateurs d’artillerie puissent suivre leur progression. Et en avant ! Vite la tranchée est escaladée : le tir de l’artillerie s’est allongé ; la musette et les poches bourrées de grenades les volontaires s’avancent sans pertes jusqu’à la tranchée de la lisière du Bois-Noir. Mais à ce moment nous entendons le crépitement d’une mitrailleuse, des cris, des explosions de grenades. Cela dure une vingtaine de minutes, vingt siècles… Et puis quelques hommes réapparaissent. Par le créneau derrière lequel je suis embusqué, je les vois, petites taches bleues, qui bondissent, tombent, rebondissent, retombent. Certains qui sont tombés ne rebondissent plus… A ce moment le bombardement du Braunkopf prend une très grande intensité. Un sous-lieutenant est tué… Je reviens à la batterie, m’abriter.
Voici le résultat de l’opération : le lieutenant Régnier a été tué dans le bois (on donnera son nom à un camp, et voilà !…) Douze hommes tués, une vingtaine de blessés, quelques prisonniers. En somme sur quatre-vingts partants, il revient quarante hommes environ. Les deux premières lignes ennemies nivelées par le tir de l’artillerie ne contenaient que des cadavres. Mais à l’intérieur du bois, les Allemands surgirent de leurs très profonds abris ; les premiers qui sortirent furent tués à coups de grenades. Comme on somme les autres de se rendre, ils ricanent et s’écrient : « Capout, oui… Mais Kamarads, jamais !… » Et ils se laissent tuer. Deux Allemands que les fantassins veulent emmener (on a demandé des prisonniers) se débattent tellement que leurs vainqueurs les transpercent d’un coup de leur baïonnette et les laissent sur le terrain.
L’opération, en résumé, nous coûte quarante hommes et deux officiers et… ne nous apprend rien. Etait-il utile de la tenter ? Je ne crois pas. Alors, pourquoi, après deux ans d’expérience, s’obstiner dans ces erreurs ? Je vous le demande, ô Joffre, ô Castelnau ?…
Et pendant que je ronchonne, mon 170 se fait citer à l’ordre de l’Armée.*

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