20 décembre 1916. M’rirt, un petit tas d’argile rouge dans une plaine verte



20 décembre 1916. M’rirt

M’rirt, un petit tas d’argile rouge dans une plaine verte, à laquelle les montagnes des Zaian font une ceinture bleue. Du rouge, du vert, du bleu, tout le Maroc de l’hiver est dans ces trois notes-là. Casbah, villages, pistes, rochers, eaux des oueds grossis, tout cela est rouge au milieu du vert de la jeune herbe tendre. M’rirt est rouge, comme le sont les ruines écroulées sous nos obus de la casbah de Tibouda, rouge au centre d’un vaste pâturage où venaient paître naguère les innombrables troupeaux des Zaian chassés de la montagne par les neiges de novembre. Un mur d’argile percé de créneaux, étroits pour les fusils, larges pour les mitrailleuses ; à l’intérieur de ce mur, blottis les uns contre les autres comme des moutons dans un parc, des petits bâtiments rectangulaires : la poudrière, l’infirmerie, la T.S.F., le bâtiment des officiers où chacun de nous a sa chambre, les bâtiments des hommes, les deux baraques en planches du souk juif, les écuries des spahis… Seules, parmi tant de maisons rouges, les trois khima des goumiers, noires. Piquez sur le tout la grande antenne de la T.S.F. et entourez le mur d’un large réseau de fils de fer, vous aurez M’rirt qui se distingue des autres postes par sa situation en plaine.

Trois cents hommes vivent enfermés là-dedans : chasseurs légers du 2ème bataillon d’Afrique, sous le commandement du capitaine Courtois, (commandant d’armes), et du s/lieutenant Rossi, spahis commandés par le lieutenant Durand, quelques territoriaux avec le lieutenant Bompard, architecte à Cannes, des goumiers détachés de Lias, trois ou quatre sapeurs pour la télégraphie, trois ou quatre artilleurs pour les deux canons de 80, telle est la garnison emprisonnée dans ce poste dont on ne peut s’éloigner à plus de deux ou trois cents mètres, sans s’exposer à avoir la tête coupée.

Situation étrange que la nôtre. Situation non moins étrange, celle des Zaian. Qui sont les assiégés d’eux ou de nous ? Ils nous bloquent c’est entendu, mais avec des canons nous pouvons toujours, comme hier, forcer leur blocus. Tandis qu’eux, prisonniers de leurs montagnes froides et arides, en sont réduits à pousser leurs troupeaux paître sous nos obus et sous nos balles. M’rirt est là, en quelque sorte, comme un chien de garde qui ne tolère pas que l’on pénètre sur la propriété dont il est responsable. Du matin au soir, des veilleurs guettent les pentes de la Gara et des montagnes qui ferment circulairement la plaine : dès que des moutons, des chèvres, des cavaliers se montrent le canon crache sur eux. Mais c’est bien tentant cette plaine verdoyante : aussi chaque jour de hardis bergers –toujours à cheval- risquent-ils le coup. On voit apparaître au détour d’un ravin quelques points noirs : ce sont des chèvres. On les laisse approcher à portée de mitrailleuse et plo plo plo plo plo plo, feu à volonté sur la cible mouvante du troupeau. Cet après-midi ce fut un feu roulant pendant une heure. Nous avions laissé approcher deux ou trois troupeaux. Les mitrailleurs se dissimulant dans les hautes herbes sèches s’étaient avancés à 500m en avant du poste. Ils tirèrent je ne sais combien de centaines de cartouches : il semble qu’une chèvre ait été touchée… Elle nous sera revenue cher !

Ce soir, le goumier blessé est mort.

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