27 décembre 1916. M’rirt
Nous sommes toujours enfermés dans le cercle des Zaian. Aux quatre coins de l’horizon on aperçoit leurs fines silhouettes couronnant les crêtes. Et nous tirons éperdument sur eux nos obus insuffisants.
Et nous ne savons rien de la France ni du Maroc que les brèves nouvelles de la T.S.F.
Le concert des chacals, aux premières étoiles, il faut l’avoir entendu un soir que les goumiers chantent sous les tentes. Les voix des uns et des autres se marient, voix de tête, très hautes et très tristes, chants en mineur et peu modulés… il y a dans la plainte du chacal un peu de l’appel du chat amoureux, un peu de l’aboiement du renard, il y a surtout une indicible tristesse, comme un désespoir d’être à jamais un animal de nuit qui se nourrit de pourriture. C’est un destin tragique que celui-là. J’ai vu à Aïn-Leuh un chacal vivant que des indigènes promenaient à midi dans le camp. Il y avait dans les yeux de cette bête une épouvante où le soleil participait visiblement plus que les gestes des hommes cruels. Chaque soir, réguliers comme Kant à Koenigsberg, les chacals viennent au festin que chaque matin leur prépare Djilali, le boucher du poste. Il y a pour leur monstrueux appétit table mise sur l’herbe au bord de l’oued. Le menu est invariable : tripes de bœuf et de moutons que le soleil de la journée a abominablement gonflées. Les chacals « viennent à la soupe » avec cette ponctualité et cette invariabilité qui caractérisent les gens de mœurs simples et de fortune assise. Il y a aussi, auprès des tripes, la tête écorchée du bœuf. Elle est, chaque fois, l’objet d’un âpre combat entre ces gourmets de la décomposition. Et cette pauvre tête ensanglantée, tirée de droite et de gauche, par des affamés, c’est la Pologne entre les Russes et les Allemands. Ne disons pas d’un animal qu’il est répugnant parce qu’il se nourrit de chairs décomposées, ou qu’il est cruel parce qu’il se gorge volontiers du sang de ses victimes. N’avons-nous pas un goût affirmé pour le fromage et pour la guerre ?
T.S.F. 9h soir
Demain, au lever du jour, la colonne d’Aïn-Leuh fera une démonstration vers El Hammam. M’rirt soutiendra cette action en coupant les Aït sidi Larbi et les Mrabetin des Aït Bou Imsane. Nous tenons le passage entre ces tribus sous le feu de nos canons.