10 septembre 1917. Soissons
Nous montons une pièce à grand spectacle qui se donnera prochainement sur le Chemin des Dames.
Dans toutes les coulisses l’animation est extrême et l’air en est même bruyant et agité. On voit apparaître, signe des grandes heures proches, le kaki des troupes indigènes et le bleu noir des chasseurs à pied.
Les plus gros canons du monde allongent leurs trompes volumineuses au pied des collines de Bucy et de Condé. Pour alimenter leur estomac je vois s’entasser des vivres d’acier. Les dépôts de munitions se multiplient. Il y en a à Mercin, il y en a à Bucy-le-Long, il y en a à Sermoise. Dans les champs incultes on voit se presser les obus jaunes, épis monstrueux ; auprès d’eux, des pièces de tous calibres, en réserve, attendent en dormant l’heure de la relève.
Sur les prairies humides des bords de l’Aisne de larges champignons blancs ont poussé, des champignons avec un dessin rouge en forme de croix sur la tête… On me dit que ce sont des tentes pour abriter les ambulances.
La poussière monte de partout comme une vapeur de fièvre. Les klakson hurlent comme des gosiers de loups affamés… Affamés de quoi, Seigneur ? De chair humaine ?
Hélas ! de chair humaine.
De la chair de ces jeunes hommes qui passent, qui passent en longues théories chaque nuit sur le pavé de Soissons.
Mères douloureuses, priez pour eux ! Ils sont mille qui gravissent les sentiers semés d’épines, d’épines de fer, des collines de l’Aisne… Mères douloureuses, priez pour eux ! Le calvaire est là-haut… Combien de croix y sont dressées ? Déjà sur leurs lèvres ils sentent l’amertume du fiel. Déjà leur flanc s’ouvre au coup de lance. Déjà leur voix mourante gémit : Mon Père, mon Père, pourquoi m’avez-vous abandonné ?… Ils sont les Christs du nouveau Rachat… Mères douloureuses, priez pour eux !
Ils sont mille… Ils passent dans l’indifférence générale. Ils vont mourir… le gros intendant n’en continue pas moins de fumer son cigare, le médecin-major de conter des fadaises à la demoiselle du Bazar, le rabbin Witzenhausen de solliciter des permissions de détente et l’aimable Foucart de se polir les ongles.
Quid mortes juvenum, quid sanguine pasta voluptas ?
…Mais on dit –c’est un on-dit- que les Allemands ne nous attendront pas, que déjà se manifestent les signes de leur retraite prochaine, qu’ils incendient les villages, qu’ils jettent bas les arbres fruitiers, qu’ils minent les routes et les ponts… On le dit. Mais peut-être le dit-on à dessein : les sources se tarissent lentement où le soldat puise du courage avant l’attaque…
Il s’agit de la deuxième offensive du Chemin des Dames (Geoffre)
Les Allemands n’avaient pas l’intention de battre en retraite mais installaient leurs mitrailleuses qui allaient faucher les vagues d’assaut alliées – Une nouvelle boucherie….