16 octobre 1917. Le Pont Rouge (entre Crouy et le Moulin de Laffaux)
Ah ! Madame, ne demandez pas à connaître d’autres images de guerre que celles follement imaginaires que vous offrent telle Vie Parisienne ou telle chronique de M. Lavedan. Ne gravissez jamais la côte de Crouy, ne traversez jamais le vaste plateau nu où elle ascend et surtout ne vous glissez pas jusqu’au lieu-dit « Le Pont Rouge », ou bien alors lasciate ogni speranza, et pénétrez dans l’Enfer de Laffaux.
Aujourd’hui les diables du feu central ramonent leurs cheminées et de toutes parts, ce sont vers le ciel d’épaisses giclades de suie. Probablement les cheminées principales du Vésuve, du Fushi-Yama, du Popocatepelt ne suffisent-elles plus à l’entretien d’un feu où sont engloutis, en ces temps de brutalité, chaque jour tant d’Allemands et de Turcs (point de vue français), tant de Français et d’Anglais (point de vue allemand). Ah ! ils ramonent, les noirs diablotins – qui sont certainement des petits Savoyards damnés. Ils ramonent et tout le sol en tremble. Sentez-vous ? C’est bien l’odeur du soufre brûlé décrite par tous ceux à qui Satan a rendu visite. Et puis ces tonnerres… Ce sont bien les mêmes que dans Les Sept Châteaux du Diable, féerie de notre enfance.
Le ciel est tout plein d’anges aux ailes déployées ; peut-être ont-ils à la main un rameau d’olivier. Arme bien faible. A-t-on jamais vu le Bien triompher du Mal ? Et où est le Bien ? Et où est le Mal ? Depuis la sanglante affaire de la Marne le bon Dieu est bien compromis… […]