1er novembre 1918
Après Tourcoing et Roubaix, Constantinople…
Ardente journée de Toussaint ! Les cloches des églises ont des sons nouveaux. Le cortège des vétérans allait d’un pas de chasseur à pied vers le monument de 70… 70 ! Epoque où nous étions les vaincus. Il n’y a pas de quoi être fier, ô père Grillon, avec sur votre redingote toutes vos médailles commémoratives d’un funeste événement !…
En un jour, s’écroulent deux pays avec qui nous n’eussions jamais dû être en guerre : l’Autriche et la Turquie. Peuples bien proches de nous, beaucoup plus proches que les Américains et… que les Anglais.
C’est par à-coups que nous apprenons ces grandes nouvelles. Avant-hier le Grand Quartier disait, au téléphone : « Allô ! La Turquie capitule et l’Autriche prend la frottée… »
Aujourd’hui, il dit : « La Hongrie est en révolution. La République est proclamée un peu partout… On les a !…» S’ils sont en République on les « a » certainement !…
Et les bruits de circuler avec des célérités de fourmis affairées. Les conditions de l’armistice entre l’Allemagne et l’Entente circulent : Occupation de la rive gauche du Rhin jusqu’à la frontière hollandaise… Occupation des têtes de pont de Coblentz, Mayence, Cologne. Occupation de Hambourg et de Kiel… Reddition de tout le matériel se trouvant sur le sol de la France et de la Belgique. 400.000 Allemands livrés à la France pour la reconstitution des pays détruits. Du charbon par millions de tonnes… etc. etc.
Très infatué de sa besogne, le commandant du quartier général, de Barollet, circule de bureau en bureau, préparant le déménagement du Q.G. de l’Armée pour Mulhouse… Non, pour Colmar… Non, je vous dis que c’est pour Neuf-Brisach… Est-ce qu’on aura le droit de passer le Rhin et d’aller faire du tourisme en Bade ?… On chassera ! on pêchera ! – Pensez-vous qu’ils aient laissé du gibier ! Ils avaient d’énormes pièges à lièvres, à lapins, à canards sauvages… Il ne reste rien de rien en Bochie… – Il restera des femmes.- Et des musées. – Et des laboratoires. – On fera de la musique, de l’auto, de la poésie, du cheval… – Si je trouve quelques variétés originales de rosiers, hasarde mon timide Médecin-Inspecteur, j’en prendrai des greffes. Et il rougit. Il croit avoir passé à nos yeux pour un pillard !…