17 décembre 1914 Vic s/Aisne
Pas d’obus.
Nous sortons de la maison notariale en levant machinalement le nez vers le ciel et en tendant la main : « Est-ce qu’il pleut ? » Non, il ne pleut pas… Il a déjà bien plu sur la pauvre petite ville. Que de toits troués, que de murs ouverts, que de vitres brisées ! Le vieux château de Vic, construit pour résister aux plus lourds boulets, n’a pas résisté à un obus de 150 qui lui a fait dans le flanc une affreuse blessure.
Comme mon pied m’empêche de « globe-trotter », comme dit le colonel, je fais en boitaillant mon tour de ville. Je vais écouter les derniers potins de dame Moutarde. Dame Moutarde est la gardienne de la maison où logent Plaisant et son drapeau. « Monsieur Plaisant, fait-elle en embuant ses lunettes d’émotion, Monsieur Plaisant ! un monsieur si bien !… Croyez-vous, Monsieur, qu’il voudra bien me photographier ?- Mais certainement, certainement, dame Moutarde » C’est une façon de me demander de lui rendre ce service, car derrière sa lunette soudain désembuée je la vois loucher sur mon kodak. C’est dame Moutarde que le colonel, qui mange là et y logea, consulte sur la direction des obus qui arrivent sur la ville… Elle s’y entend, depuis trois mois ! Dans sa rue, la rue du Jeu D’Arc, il en est bien tombé une quinzaine.
Je m’ennuie des tranchées. Vic en est tout près mais comme elles sont loin de Vic !… J’y retournerai demain.