25 février 1915. Epernay (2h, matin)
Débarquement à Epernay. Froid. Neige. Altkirch1 tombe du haut d’un wagon et se blesse. Ruades de chevaux. Cris des conducteurs. Chargements des bâts sur les chevaux de mitrailleuses.
Nous traversons tout Epernay. Au bruit de notre passage, les fenêtres s’éclairent, des têtes apeurées se penchent, des bonnets de coton nous interrogent : « D’où venez-vous ?… Ca marche ?… Quoi ! vous battez en retraite ?… »
La traversée d’Epernay, dans la nuit, nous paraît interminable. Ensuite, pendant plusieurs kilomètres, nous longeons des maisons, des maisons… Puis une côte couverte de verglas où les voitures calent.
Le petit jour apparaît. Nous sommes au milieu d’hectares d’échalas2.
Chavot-Courcourt (Marne) –sud d’Epernay-
5h –matin-
Nous escaladons une colline au sommet de laquelle est juchée une église isolée… Plus loin des maisons. C’est notre cantonnement.
Un magnifique lever de soleil sur des collines couvertes de vignobles, poudrées de neige. A nos pieds, Epernay. Plus loin, la Champagne ondule mollement.
L’ennemi ?… Il est très loin d’ici. Nous nous concentrons.
- 8h -
Sur les rubans des routes, j’aperçois des colonnes d’infanterie, de longs convois de voitures… Depuis trois jours, nous disent les habitants, il en arrive, il en arrive… Grosse concentration. On parle de trois corps d’armée déjà rassemblés dans la région.
L’accueil que nous font les habitants du village est unique dans l’histoire de notre campagne. C’est un accueil franc, rieur, enchanté. C’est à qui logera soldats ou officiers. Les draps les plus blancs sont sortis des armoires, les cheminées sont garnies de sarments qui flambent joyeusement… Et surtout, ah ! surtout, les caves se dégarnissent de leurs meilleures bouteilles.*
Le vieux vigneron chez qui nous installons notre popote nous offre des bouteilles de derrière les fagots… Il les a posées sur la table, religieusement, respectant la poussière sacrée qui les recouvre. Avant de nous verser à boire il goûte le vin « afin de se rendre compte, dit-il, qu’il est digne de nos palais. »
Chavot-Courcourt domine un pays mamelonné, aux pentes hérissées d’échalas. De la cote 225 qui domine elle-même le village on aperçoit à la limite de l’horizon deux grosses colonnes de fumée. Deux villages qui flambent, probablement, dans la région de Perthes. Là-bas, la guerre. Ici une paix champêtre, arrosée de champagne.