4 mai 1915. Poste de secours de la Tranchée de Calonne
Je suis venu rejoindre le médecin-major à son poste de secours. Il est, lui aussi, violemment bombardé. Ses minces gourbis en branchages légers ne le protègent pas même contre les gros éclats. Le bombardement qui a duré toute la nuit ne cesse pas une seule minute. Notre artillerie se tait.
Vers 16h je vois arriver sur la route le colonel Pollachi avec son officier d’ordonnance, le bon et naïf Balizet. Ils s’arrêtent un instant pour souffler. Je plaisante Balizet sur son air inquiet : « Balizet, vous avez les foies… ! » (avoir les foies = avoir peur, expression de troupier). Ils reprennent leur route. Ils vont à deux cents mètres de là occuper l’abri du commandant du secteur. Soudain Baude arrive les yeux fous, la parole essoufflée : « Venez vite… Ba..li..zet.. est blessé… ! » Je cours avec quatre brancardiers. Balizet gît dans une mare de sang, la hanche est en bouillie, le bras gauche arraché… Je le transporte. On le panse. Pendant le pansement, il cesse de se plaindre, il cesse de respirer, il meurt. Pauvre Balizet !
A la nuit l’atmosphère devient agitée. On sent que « quelque chose » se prépare. Les fusils sont nerveux. Pour un rien la mitrailleuse tambourine.
Vers minuit je me rends avec Lépagnole auprès d’un blessé. Nous le pansons. La fusillade fait rage. En regagnant l’abri où nous couchons, je reçois une balle derrière la tête. Elle frappe violemment l’os occipital, sans le briser. Hémorragie. Nausées. Vertiges. Affolement de tout le monde. Notre bon aumônier qui passait la nuit là en prend des coliques. Il est certain que la balle au lieu de me raser le crâne eût aussi bien pu le traverser. Mais elle n’a pas voulu. Merci, balle boche !…