8 mai 1915. Train sanitaire permanent n°5
A midi on me couche sur un brancard, on me hisse dans une voiture pour blessés couchés auprès d’un capitaine au bras brisé et au-dessus d’un commandant à la cuisse entaillée. On nous conduit à la gare. On nous descend de voiture. On nous monte dans un spacieux wagon comportant seize couchettes. On nous glisse entre des draps bien blancs et l’on vient nous annoncer que nous partirons ce soir à 7h pour Contrexéville.
Je suis au « premier étage ». Au rez-de-chaussée, au-dessous de moi, se trouve le capitaine au bras brisé. Nous sommes cinq officiers et onze poilus. La plupart sont des amputés récents. L’un des poilus, amputé du bras gauche au-dessous de l’épaule dit ses projets d’avenir : « Hé ben voilà : mon bras va me rapporter 800fr de rentes plus la médaille militaire qu’on donne de droit aux amputés : 900fr en tout… J’ai déjà établi des relations avec la veuve d’un copain tué au mois d’août. Comme veuve de mobilisé elle aura 500fr. A nous deux ça nous fera 1.400fr. Je n’ai plus qu’à me trouver un petit emploi de 150fr par mois… Pourquoi voudriez-vous que je me désole d’avoir perdu le bras ? » Et il plaisante sa main absente : « As-tu fini d’avoir des élancements dans les doigts ! »
La journée se passe ainsi, le train restant en gare, sous un soleil de plomb. A 7h on nous apporte à dîner. Au niveau de chaque couchette se trouve une petite tablette avec verre, assiette et couvert. Le dîner est servi chaud. Il est confectionné dans le train même. Potage, œufs sur le plat, bœuf au riz, confiture, biscuits.
A 9h nous partons. On s’endort. Nous passons Sainte-Menehould, Bar-le-Duc. Lenteur extrême. Arrêts perpétuels. Passage à Neufchâteau, à Mirecourt. Enfin Vittel. Il est 11h du matin.
Dîner très ( trop…) copieux pour des grands blessés…Enfin, puisqu’il est confectionné dans le train même, il sera au moins chaud…