25-30 juin 1915 : toute tête qui se montre au-dessus de la tranchée pendant le jour est immédiatement visée



Le vendredi 25 juin 1915
Arrivée à Bolante à 3 h, dans les mêmes emplacements qu’à la période précédente. Nous remplaçons la 8ème compagnie du 91ème. Fusillade et canonnade par intervalles. Une mine française a sauté à 14 h. Replacé des créneaux la nuit. Ma section en première ligne.

Le samedi 26 juin 1915
Entretien de la tranchée. A 16 h, bombardement de minenwerfer, les tranchées et boyaux sont démolis et nous travaillons toute la nuit à les réparer. Posé six créneaux. Péchard, cuisinier du capitaine, a été tué d’une balle au cou. Beau temps.


Le dimanche 27 juin 1915
Continué à réparer les tranchées. Dans le secteur de ma section, plusieurs créneaux sont visés par les Allemands qui tirent dedans continuellement et nous sommes obligés de les remplacer toutes les nuits. Il est très dangereux de passer derrière sans se baisser. Les sapeurs du génie creusent quatre sapes dans le secteur. Nous apercevons les Allemands qui remuent de la terre au pied d’un gros chêne, en avant de leur ligne. Le caporal Renard et le soldat Dubos ont été blessés. Bombardement de crapouillots et de minenwerfer l’après-midi, notre 75 a riposté. Beau temps chaud.
Le lundi 28 juin 1915

Dans une patrouille commandée par l’aspirant Tostain, le soldat Renault a été tué d’une balle à la tête, à deux mètres en avant du parapet de la tranchée, à l’endroit très dangereux que je signalais hier. Les Allemands tirant continuellement, nous sommes obligés de creuser un petit boyau pour arriver jusqu’à lui et le ramener dans la tranchée, à 2 h. A 3 h, ma section quitte la première ligne et vient en 2ème et 3ème lignes. Bombardement de crapouillots et de shrapnels de 9 h à 11 h et l’après-midi. Le soldat Dupuy est blessé au bras. Beau temps.
Lundi 28 juin 1915

Chère Eugénie,

Après avoir passé trois jours en tranchée de première ligne, à 40 mètres des Allemands, je suis revenu ce matin en deuxième ligne, soit à 30 m plus en arrière. Je ne suis pas beaucoup plus loin de l’ennemi mais je suis tout de même plus tranquille car, à mon tour, je suis protégé par ceux qui sont en avant de moi.

Tu me demandais dans ma lettre si je voyais des Allemands. Quoique je n’en sois pas bien loin, je n’en vois jamais, il y a plusieurs mois que je n’en ai pas vu en face de moi. Assez souvent, avec le périscope, j’aperçois, à travers un créneau, la figure ou plutôt une partie de la figure d’un de ceux qui nous observent, mais c’est tout ce que l’on peut voir. Toute tête qui se montre au-dessus de la tranchée pendant le jour est immédiatement visée. Aussi, quand nous sommes obligés de passer en avant de la tranchée, nous ne le faisons que la nuit, et malgré cela c’est très dangereux car il y a des fusées éclairantes de lancées à chaque instant, et toujours une fusillade s’en suit.

D’après les lettres et beaucoup d’autres, je vois que les hommes des dépôts ne sont pas très amateurs de revenir sur le front. C’est que ça n’a rien d’encourageant, et en partant pour la ligne de feu il faut presque s’attendre à ne plus revenir. Si on revient c’est une chance, mais il y a bien des occasions pour y rester. C’est pourquoi je ne tiens pas à être évacué ; tant qu’on y est on n’en fait pas de cas, mais pour y revenir je comprends très bien que ce soit pénible quand on y a déjà goûté : surtout qu’on y envoie des hommes pour qui c’est la deuxième ou troisième fois, tandis que d’autres n’y ont pas encore été. La guerre n’ayant aucunement l’air de vouloir se terminer bientôt, je crois qu’il y en aura bien pour tout le monde, y compris les embusqués.

Je n’avais jamais entendu parler de Paul Rouer depuis le 2 octobre, jour où je l’ai quitté à Orléans ; je le croyais sur le front dans un régiment quelconque et j’ai été surpris d’apprendre qu’il n’avait encore rien vu de la guerre. Peut-être est-il aussi à plaindre que moi.

Je me porte toujours très bien.

Bonjour à Georges, tu lui diras que je ne fume plus, ça n’a duré que deux mois. Maintenant, il fait trop chaud.

Je t’embrasse de tout mon cœur.

Ton frère ‑ H. Moisy ‑ Auguste se porte bien.
Le mardi 29 juin 1915
Repos et entretien des tranchées et boyaux. Une mine a sauté à 50 m à gauche, en face du 1er bataillon. Bombardement de crapouillots par le 1er bataillon, l’artillerie allemande a riposté et a fait beaucoup de dégats à la 3ème compagnie. Trois artilleurs des pièces de 58 ont été tués, parmi lesquels Privat Deschanel, classe 15. Temps frais et pluvieux.
Mardi 29 juin 1915

Mon cher père,

Dans ma dernière lettre je vous envoyais une enveloppe à mon adresse mais ce n’est pas pour cela que vous devez m’écrire, vous avez bien du travail en ce moment et j’ai de vos nouvelles assez souvent par Aimée, Eugène et Eugénie.

Je suis toujours dans les tranchées, c’est aujourd’hui le cinquième jour, encore un jour et nous irons au repos. Le temps est toujours très beau et je m’étonne qu’il fasse si mauvais à Bourgueil.

J’ai eu ces jours-ci une photo de Marcel Méchain. Il a toute sa barbe et il faut y regarder à deux fois pour le reconnaître.

J’ai reçu hier une lettre de Clément Moisy, de Bourgueil.

Tous les après-midi, il y a bombardement de nos tranchées par les crapouillots. Ca n’est pas très dangereux, mais ça démolit tous nos terrassements. Il y a quand même quelques blessés.

Je pense que les soldats du 232ème que vous logiez il y a quelque temps sont toujours avec vous. Je me porte bien et j’ai bon appétit.

Agréez l’expression de toute mon affection. ‑ Votre fils ‑ H. Moisy
Le mercredi 30 juin 1915
Toute la nuit nous entendons une violente fusillade et canonnade dans la Marne, à gauche du Four-de-Paris. Dans notre secteur, canonnade des deux côtés. Gaz asphyxiants vers la droite, 8ème compagnie. A 22 h, violente fusillade et canonnade dans la Marne. Le ciel est éclairé continuellement par le tir des grosses pièces d’artillerie.

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