14 décembre 1915. Après une journée radieuse, de soleil et de neige.

14 décembre 1915.

Après une journée radieuse, de soleil et de neige.

Je regagne après le dîner la cabane que je me suis fait construire au milieu des hêtres rabougris, tordus, rachitiques, du bois de Schmargult, et que j’ai inaugurée aujourd’hui. La lune verse du lait sur les montagnes. Le Kastelberg est un fromage à la crème. Le bois, avec ses arbres ouatés, est un décor d’Andersen. Sur la route, des canons, sous leur manteau de branchages blancs, ont froid : mes gants de laine se prennent à leur acier et leurs poils y restent attachés en partie quand je retire ma main qui les caressait comme on fait à un bon cheval qui a bien travaillé. Metzeral, là, en bas, est bruyant. Ah ! ces nuits de lune dans la tranchée : en voit-on des patrouilleurs ennemis qui se réduisent à une ou deux mottes de terre ! Metzeral est bruyant : une mitrailleuse de l’Ilienkopf détruit à elle seule tout le calme de l’Alsace sous la lune froide. Son plo plo plo retentit jusque dans ma chambre. Les gros crapauds de 220 de Mittlach –les crapauds-bœufs- beuglent à la mort, un beuglement toutes les dix minutes. Les sentinelles tiraillent, un coup par-ci par-là. Pas de fusées, à quoi bon ? La lune veille. Les sentinelles tiraillent pour se chauffer les doigts au canon de leur fusil. Il fait froid -10°. Des pieds se gèlent, là-haut, dans les tranchées de l’Hilsenfirst : on les coupera dans quelques jours à Gérardmer ou à Bussang…

C’est la guerre, la guerre…

Mais un espoir surgit, fusée lumineuse dans la monotonie de notre ciel : le mark allemand et la couronne autrichienne baissent, baissent avec une rapidité inouïe : avant-hier 100 mark valaient 103 francs à Genève (le pain est à 134 francs). Aujourd’hui ils valent 101 francs. La couronne descend à 73 francs (le pain à 105 francs). Voilà qui est beaucoup plus prenant que les victoires allemandes en Serbie… Il vaut mieux voir baisser le mark de deux points en deux jours que d’apprendre l’annonce d’une victoire française locale. Enfin, une fusée !…