20 avril 1916.
… Et comme la neige continue de tomber je descends chercher le printemps sur les bords fleuris de la Fecht. Fleuris… Hem ! Entre ces centaines d’entonnoirs il n’y a guère plus de place pour les pâquerettes.*
Chaque soir, quand je regagne ma cagna après le dîner, une fusée s’élève du Braunkopf et éclaire ma route.
C’est l’heure charmante de la guerre, quand le combat ne sévit pas. Tout est apaisé ; le silence s’entend. C’est l’heure de la mitrailleuse de Metzeral. L’ennemi a placé une mitrailleuse qui balaie à intervalles à peu près réguliers les ruines de Metzeral, où l’on ne peut circuler que pendant la nuit. Et cette mitrailleuse, de huit heures du soir à 6h du matin, fait son métier de chien de garde. Je l’entends aboyer et, dans les gorges de la Wurmsa, son aboiement fait un bruit singulier : on dirait le coassement d’une grenouille.
- Vendredi-Saint- Le calvaire de 830-*
Ah ! Les Golgotha d’Alsace ! Celui-là en fut un, et des plus douloureux. 830 ! 830 ! Chiffre glorieux qui ne rend, malgré ses sonorités de victoire, qu’un son de glas quand on en lance les syllabes au vent. J’ai passé la matinée sur ce champ de carnage. On n’y accède qu’en rampant et dans quelle boue immonde ! Les boyaux sont encore encombrés par la neige. Force est d’aller en terrain découvert. Une mitrailleuse braquée sur cette chaume dévastée exécute instantanément tout homme qui s’y montre. Péniblement, à travers les enchevêtrements invraisemblables de fils barbelés et les énormes trous d’obus dont chacun est une tombe, je grimpe jusqu’à la croix très haute et très svelte qui domine le charnier. Une âcre odeur de cadavre monte de la terre détrempée. Des bras et des jambes ont été oubliés ici et là par les courageux fossoyeurs nocturnes qui se sont donné pour tâche depuis dix mois d’enterrer leurs camarades tombés à 830. J’ai marché sur une main squelettique, dont les phalanges tiennent encore par des tendons desséchés : à l’annulaire, une bague en aluminium, une grossière chevalière sans initiales… J’ai arraché une motte de gazon et j’en ai recouvert cette pauvre main anonyme. Au bas de la pente gazonnée, Metzeral étale ses lamentables ruines. Comme on aimerait pouvoir enterrer également ces tristes décombres qui se désagrègent sous la pluie et donnent le spectacle exact d’une lente décomposition cadavérique !…
Est-il, en 1916, un lieu plus propice à une méditation de Vendredi-Saint que ce sommet d’Alsace où tant de Sauveurs se sont immolés pour sauver la France ? Il me semble que tous ces jeunes gens tombés là ont vécu les angoisses du Christ. La nuit qui précéda l’assaut… « O mon père, éloignez de moi ce calice !… » Et l’ascension douloureuse sous les coups des obus et la gifle des balles, avec des chutes sous le poids du sac, du fusil, des cartouches… Enfin, la mort sous l’insulte des ennemis, la Mort avec un grand cri « mon Dieu…mon Dieu… » Quelle rédemption nous donneront-ils donc tous ces Christs ?…
-17 heures- Arrivée des journaux de l’avant-veille*
- Les Russes s’emparent de Trébizonde
-M. Wilson prend une attitude énergique
-Des troupes russes débarquent à Marseille
- Pas d’attaque sur Verdun
- Les Allemands meurent de faim
- Emeutes à Berlin…1832 tués. 3605 blessés.
- La Roumanie démobilise
- Nos amis italiens s’emparent du Monte Fume à 3402m et font trois prisonniers dont un chamois et deux marmottes.
- Notre confrère l’Homme enchainé est suspendu pour huit jours.
- Des canons !! Des munitions !!
- Les embusqués : ce spectacle a assez duré ! Nous sommes résolus à rendre la vie impossible aux embusqués… Signé : Henry Chéron – sénateur du Calvados-.