24 octobre 1917. On ne peut s’imaginer l’heureux désordre qui règne, un lendemain de victoire



24 octobre 1917.  Chivres

On ne peut s’imaginer l’heureux désordre qui règne, un lendemain de victoire, dans les lignes où, la veille, tout était angoisse et silence. Dans le tonnerre de l’artillerie à grande puissance, (l’A.L.G.P.) dont les pièces sous leur filet d’alpha ont l’air de sauriens capturés, l’artillerie de campagne quitte ses positions de batterie pour se porter sur les terres conquises. Des huit et dix chevaux arrachent les canons de la boue. Cris. Fouet.

A la lisière d’un boqueteau mâchuré par la mitraille, un Allemand crotté tâte le terrain et fouille ma physionomie. Un grand garçon à l’air nigaud. Il me bredouille quelques mots où je devine son vif désir de se rendre. Ils sont des quantités qui, comme celui-là, vont en quête d’un troupier charitable qui voudra bien les faire prisonniers. Je lui indique d’un geste le chemin à suivre. Deux autres accourent, la tête brinquebalante sous le casque, me saluent et se joignent au précédent. Et tous trois je les vois s’éloigner à grands pas bottés, hâtifs, vers Chivres, vers la France, loin des obus…

Un régiment, le 414ème, monte. Silence et cafouillis de boue. File indienne d’hommes graves et muets qui savent qu’ils ne vont pas à une garden-party.

Sur un brancard passe le corps d’un aumônier, soutane boueuse, déchirée, dont un pan vole sous les coups de vent. Visage jeune, rasé, la bouche grande ouverte comme pour un cri.

Des avions au ras des cimes de peupliers éparpillent les corbeaux que le canon n’effraie plus.

Des Allemands errants…

… Dans le crépuscule mouillé : un groupe noir de prisonniers grelottants… Une belle limousine noire au fanion tricolore, cravaté de blanc… Pétain, souriant, le visage clair, l’œil bridé par un rien d’ironie, Pétain, le vainqueur, indifférent derrière sa glace aux vaincus. Misère et gloire, bottes boueuses et limousine capitonnée, le ruisseau et le Capitole.

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