Tribune Nord (4) : quand le ketchup a le blues… Enfin le bleu ciel de City, par Jérôme Boissel
Dans sa chronique (lire les précédentes très intéressantes ici et là et encore là), Jérôme Boissel, notre spécialiste marketing,s’arrête cette fois sur les couleurs. Plus qu’importantes dans le monde du football… Avec des effets inattendus sur le ketchup !
Roses are red, Violets are blue, Sugar is sweet, And so are you… Ainsi va la comptine que tout enfant britannique connaît depuis son plus jeune âge. Utilisée à toutes les sauces…
Beaucoup moins romantique, peut-être, est le rapport du football aux couleurs. Pour Michel Pastoureau (1990), « toute partie de football est une liturgie collective où les gestes, les couleurs et les sons se répondent ».
Effectivement, qui n’a jamais appelé amoureusement son stade champêtre préféré « mon pré vert »… en plein mois de janvier, alors que le dernier carré de gazon avait laissé place à la boue et au sable depuis plusieurs week-ends ? Qui n’a jamais vilipendé « l’homme en noir » pour mieux l’applaudir à la fin du match suite au succès de son équipe ? Quel entraîneur n’a jamais encouragé ses « petits bleus » ? Et quel enfant des années 70’s ne s’est pas pris d’affection pour les « canaris » nantais ou pour l’épopée des « verts » ?
Même le grand Nicolas de Staël s’est laissé prendre au jeu en peignant deux séries mêlant couleurs et mouvements du « jeu du peuple ».*
Nous laisserons bien évidemment de côté les attributions sectaires de couleurs particulières à telle ou telle religion, car, s’il est vrai que Manchester City joue en bleu (ciel) est un club dit « protestant » alors que leurs rivaux voisins d’United jouent dans le rouge « catholique », toute généralité serait spéculative. En effet, si les protestants d’Everton – le badge du club montre l’église méthodiste de Saint-Domingue, à l’origine de la création du club – jouent eux aussi en bleu (royal), les « Reds » de Liverpool n’en sont pas pour autant catholiques ! A leur création, ces deux clubs n’en étaient qu’un… jusqu’à ce qu’une dispute entre dirigeants ne décide de la scission en deux entités. And the rest is history…
Quoi qu’il en soit, les couleurs font partie intégrante de « l’attirail » (Derbaix et Decrop, 2010) du supporter, lui permettant ainsi de « s’identifier à sa tribu, tirant de celle-ci un sentiment de fierté qui contribue à la construction de l’identité de soi » (Decrop et Derbaix, 2009).
Ce qui nous intéresse aujourd’hui c’est le rapport entre couleurs et entreprises en général. On peut trouver, de-ci de-là, certaines banalités sur cette relation :
- 33 % des marques choisissent le bleu, symbole de confiance et de sécurité.
- 29 % des marques plébiscitent le rouge, couleur énergique qui capte l’attention.
- 28 % des marques préfèrent le noir ou le gris, pour le prestige et la durabilité.
- 13 % des marques utilisent le jaune ou l’or, symbole de lumière (motivation et créativité).
Mais force est de constater que la communauté scientifique ne s’est pas énormément penchée sur la question. Dans l’excellent ouvrage, coordonné par Sophie Rieunier et intitulé Le marketing sensoriel du point de vente, Bernard Roullet (auteur du chapitre 5) écrit :
« La couleur est un thème qui a toujours fasciné, qu’il s’agisse de sa perception, de la sensation qu’elle suscite, de sa signification ou encore de sa symbolique. Ce thème revêt une importance particulière dans le contexte du magasin dans la mesure où 80 % des informations qui nous parviennent sont visuelles et où la couleur est une propriété intrinsèque des éléments qui nous entourent. Pourtant, peu d’études universitaires s’y sont intéressées : une dizaine porte sur la couleur (réalisées en magasin simulé) et trois sur l’intensité lumineuse (en magasin réel) auxquelles s’ajoutent celles consacrées aux sites Web » (2009, p. 131-132).
Pour Roullet, la couleur est définie selon trois dimensions : sa teinte, sa luminosité et sa saturation. Nous ne rentrerons pas dans un tel détail, mais certains d’entre-vous ne pourront s’empêcher de penser au match de Manchester United dans l’ancien stade de Southampton – le Dell – le 13 avril 1996 : menés 3-0 à la mi-temps, Sir Alex Ferguson ordonnera à ses hommes de changer… de maillots !
Les joueurs troquèrent leurs maillots gris insipide dans lesquels ils ne se voyaient pas pour une tunique bleue et blanche… Ils ne concéderont plus de but et Ryan Giggs (déjà) réduira même le score vers la fin du match. Ce maillot gris n’a plus jamais été porté et est devenu un item culte sur les sites de vente de particulier-à-particulier, avec un fameux record de cinq matches pour quatre défaites et un match nul ! Pour l’anecdote, United gagnera tous les matches suivants pour remporter le titre en 1996 !
Pour les amoureux de foot anglais (capables de s’enflammer devant les frères Neville taclant Matt Le Tissier…), un long résumé de la rencontre. Pour les autres, il suffit de jeter un coup d’oeil à la première période et de filer à 13’30 pour voir le retour des vestiaires.
En fait, la complexité de la question des couleurs en marketing vient du fait que c’est notre culture qui donne aux couleurs une forte valeur émotionnelle. Les couleurs renvoient donc à la symbolique et à l’inconscient collectif.
L’usage et le choix des couleurs dans le marketing sont des éléments qui vont permettre d’établir des codes entre l’annonceur et le consommateur. La symbolique des couleurs provient des traditions et des habitudes liées à l’évolution de la société de consommation.
Dans un contexte franco-français, le blanc est synonyme de pureté, de silence, de richesse et d’hygiène ; alors que le noir symbolise la mort, le désespoir ou l’élégance. Mais dans une optique internationale de la psychologie des couleurs, il est difficile de généraliser puisque le blanc est la couleur du deuil dans certaines cultures asiatiques…
Toujours est-il qu’il existe un code universel : le bleu n’est pas la couleur idéale dans le secteur agroalimentaire. En effet, aucun organisme vivant – hormis les Schtroumpfs et la moisissure – n’est bleu dans son état naturel ! Quoi ? ! ? Les Schtroumpfs n’existent pas ? On m’aurait menti ? ! ? Au moins, il me reste le Père Noël (rouge)…
Et bien pourtant, en 2006, un club de foot est allé à contre-courant et a proposé, lors du match le plus important de l’année un produit alimentaire bleu à ses spectateurs !
Voici l’histoire du ketchup bleu de Manchester City lors du derby cette saison-là, contée, s’il vous plaît, par son inventeur lui-même – David Chell, alors Head of Corporate Sales dans le club qui n’était pas encore ce qu’il est aujourd’hui :
« Lors de l’un des derbys entre Manchester City et Manchester United, un brunch était servi dans l’un de nos espaces hospitalité. Et un de nos clients a dit qu’il ne mangerait pas de ketchup car son équipe joue en bleu. Visant toujours l’excellence en termes de satisfaction clients, j’ai sauté sur l’occasion et lui ai demandé s’il mangerait du ketchup bleu la saison suivante. »
« Un an plus tard, quelques jours avant le derby mancunien, nous avons publié un communiqué de presse mentionnant qu’un ketchup bleu estampillé MCFC serait servi dans tous les espaces hospitalité le jour du match. La réponse fut phénoménale. L’ensemble de la presse locale et nationale reprit le sujet et Sky TV consacra un reportage de trois minutes avant le match. Une séance de dégustation eut lieu en direct avec les commentateurs et tous les supporters voulaient y goûter. Un fan appela depuis l’Australie pour savoir comment se procurer la sauce ! La journée se passa bien dans les salons et si je me souviens bien, MCFC remporta la rencontre 5 à 1… sans doute grâce au ketchup bleu ! »
Évidemment, le produit ne sera jamais commercialisé mais quelle opération de relations publiques ! Et quelle histoire haute en couleurs…
la planete foot
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