Les années 2000 ont vu arriver l’ère de l’Internet qui a bouleversé de nombreux secteurs comme jamais par le passé. À l’image de la publicité en son temps, les acteurs de la stratégie d’entreprise ont dû intégrer ces nouveaux paramètres pour reprogrammer le patrimoine génétique des marques. L’ère de l’Internet a vu la prise de pouvoir des consommateurs sur les marketeurs. Plus expert, connecté, en réseau, l’internaute devenu conso’acteur influence les offres, les prix et toutes les valeurs qui constituent le génome des marques. Certaines entreprises ont cédé aux diktats du sur-mesure et du crowdsourcing pour satisfaire ces nouveaux comportements de consommation où l’exclusivité et le » persona market » prennent le pas sur le mass-market. Livrés à ces nouveaux prédateurs, les marketeurs ont été dépossédés du pouvoir que leur avait octroyé l’ère « seguelaire » de la communication.
Les cartes ont été rebattues et de nombreux métiers comme le retail ont été reconfigurés. Loin de se stabiliser, les facteurs environnementaux sont de plus en plus nombreux, les usages mobiles sont les nouveaux influenceurs, ajoutant au pouvoir des internautes le temps réel et le repérage dans l’espace. Les cycles de mutation se raccourcissent, et chaque année voit arriver son lot de facteurs imprévisibles auxquels les entreprises sont obligées de s’adapter comme les réseaux sociaux, les objets connectés, fertilisant le terreau du phénomène Big Data. Les usages se créent plus rapidement que les marchés ne sont capables de les intégrer et les entreprises n’ont d’autre choix que l’agilité pour survivre.
La data : le super pouvoir du marketeur !
Comme s’en accordent de nombreux théoriciens, la modélisation mathématique du marché est loin d’être hypothétique. La finance a franchi le pas depuis plusieurs années. Dans un mode de profusion des données, les entreprises voient naître de nouveaux métiers baptisés data scientists : capables d’en décoder les structures au service de la compréhension des marchés, des clients et leurs dynamiques. L’interaction entre le marché et les consommateurs génère chaque jour plus de données. La mondialisation de l’entreprise et la digitalisation de ses points de contacts avec le consommateur permettent à une gigantesque équation de se constituer. Si les mathématiques sont très présentes dans la nature, elles le sont aussi sur le marché et la modélisation de systèmes complexes, le machine learning et l’abondance de données permettent aujourd’hui de se hisser au rang des outils de création de valeurs incontournables. Les modèles marketing traditionnels sont dépassés, les leviers d’action des entreprises sur leur marché aussi.
L’efficacité marketing, telle que nous la connaissons, provient d’un savoir-faire vieux de plus de 40 ans ! Faites de déductions basées sur des études et d’intuitions fondées sur la connaissance présupposée des comportements, ces théories marketing aboutissent à une segmentation de la cible propice à une personnalisation assez grossière de la relation à la marque. Hier séduit par le message ou les valeurs d’une marque, le comportement du consommateur induira demain la prédiction.
Accompagnant plus efficacement la satisfaction du besoin du consommateur, les modèles prédictifs font émerger une nouvelle « race » de marques et d’offres. Les nouveaux marketeurs s’entourent de « data scientists » afin de donner un sens à la donnée produite par leur écosystème composé de tablettes, de mobiles, de sites Internet, de points de ventes, de programmes de fidélisation, de réseaux sociaux, etc. Par la donnée qu’elle génère, chaque nouvelle interaction avec le consommateur dévoile une facette de son comportement, une part de son équation.
Une fois le comportement modélisé, il devient possible de définir les facteurs dont la conjoncture déclenche un événement souhaité. Ce modèle évolue dans le temps pour être capable chaque jour d’identifier de nouvelles opportunités commerciales. Cet équilibre entre la demande anticipée, « prédite », et l’offre, est propice aux tendances actuelles de consommation. L’entreprise, qui sait produire au plus juste de la demande, ne jette rien et satisfait précisément le besoin du consommateur avec une offre sur-mesure. Les nouvelles industries de la fabrication unitaire ou de la petite série ont de beaux jours devant eux. Le succès anticipé des imprimantes 3D ou les nouveaux modèles de presse avec l’édition de journal « personnel » ouvrent la voie aux pratiques que doivent intégrer les marchés.
La donnée : le nouvel or noir
Pour mettre en oeuvre ces dispositifs prédictifs et modéliser le comportement des consommateurs, il convient tout d’abord de se doter des capacités à acquérir et réconcilier plusieurs sources de données.
Les premières sont les données dites »publiques »: les données générées par l’activité des internautes et appelées ‘logs’, les données issues des réseaux sociaux, des applications mobiles, des plates-formes publicitaires, l’Open Data etc. l’ensemble des traces issues des différents points de contact avec le consommateur. La particularité de ces données réside dans leurs formats dits « multi-structurés » et la fréquence de leurs calculs, en temps réel pour certaines, hebdomadaire ou mensuelle pour d’autres.
Ces données « publiques » peuvent être rapprochées des données « privées » de l’entreprise, comme par exemple celles des outils CRM. Ces données internes ajoutent une nouvelle dimension au modèle et offrent une vision plus précise du client, une meilleure connaissance des comportements et ouvrent la voie à la définition d’une segmentation plus fine, d’une politique commerciale plus précise, et au final d’une entreprise plus performante.
La réconciliation de ces différentes strates de données met en lumière des comportements, matérialisés par des » événements « . En poussant l’analyse, on isole leur » fréquence « , leur probabilité de se reproduire et les facteurs déclencheurs appelés » insights « . Tout cela grâce à l’application de modèles mathématiques. Il est capital de souligner l’importance de cette première approche qui pause les fondements de toute la modélisation. Très méthodique, la réconciliation de ces données doit se faire pas à pas en planifiant l’addition des sources afin de ne pas perturber les premiers enseignements par le bruit que génèrerait l’afflux d’informations. Cette première phase permet d’identifier des événements et de les corréler. Une fois exprimés auprès de la direction marketing, ils prennent un sens métier.
L’objectif de ce dispositif n’est pas tant de savoir pourquoi un consommateur a acheté, mais plutôt » comment » a-t-on fait pour qu’il achète et quels ont été les facteurs qui ont déclenché l’acte d’achat. Cette nouvelle vision du marketing, possible uniquement par une approche basée sur la donnée, relègue les modèles standards à l’ère préhistorique. Cette révolution marketing donne une nouvelle dimension à la compréhension des comportements d’achat, niveau inaccessible au cerveau humain ne pouvant traiter que quelques dizaines de facteurs, mais terrain de jeu des ordinateurs compilant des milliards de données pour mettre en lumière les comportements.
De nombreux analystes voient dans ces nouveaux concepts une révolution technologique, philosophique et scientifique. Ces modèles permettent à l’être humain d’atteindre un nouveau stade de compréhension de son environnement et de lui même. Une parabole fréquemment proposée est celle de l’ajout de plusieurs images visionnées rapidement pour former un film. Ces modèles aident l’être humain à comprendre des choses qui sont inintelligibles. L’être humain a toujours rêvé de prédire l’avenir, ce n’est plus aujourd’hui de la science fiction.
Le big data au service d’une nouvelle science du consommateur
Les projets Big Data et les réflexions qui en découlent poussent les systèmes à s’interconnecter afin d’organiser la collecte de l’information. Le Big Data bouleverse les organisations, les décisions, les acquis. Il faut comprendre que jusqu’à présent, les administrateurs de bases de données ont modélisé des tables afin de structurer le stockage et l’interrogation des données pour des besoins métiers. Les développeurs ont imaginé des applications pour manipuler la donnée sur la base de processus métiers exprimés par les maîtrises d’ouvrage comme la relation client.
Ces modélisations sont dépassées, impossibles à maintenir face aux nouveaux enjeux du marché comme le cross-canal. La granularité de l’information obtenue par la Webanalyse ou celle des réseaux sociaux est trop fine ! La problématique est la même pour les postulats marketings que sont les segmentations ou les ciblages par CSP, ces modèles sont dépassés car rendus obsolètes par la mise en relation des systèmes de données qui expriment des relations » imprévisibles « , des comportements » inintelligibles » des données. La révolution réside dans l’inversion d’une tendance fondamentale, on ne demande plus à la donnée de démontrer une hypothèse, une intuition, on constate depuis la donnée des faits et on construit ainsi des outils bien plus efficaces. La donnée crée et pilote l’usage.
La révolution est devenue possible par l’évolution technologique, en particulier le stockage et le traitement de volumes de données très importants. Dans le milieu médical il est courant de dire que seules 5% des données recueillies sont utilisées pour prendre des décisions. Imaginez des applications qui permettent de prendre en compte les 95% restant ! Au-delà du stockage, les évolutions informatiques ont permis le traitement en parallèle de gros volumes de calcul, de processus métiers, afin d’interpréter les données obtenues.
La révolution réside dans la capacité du Big Data à redonner le pouvoir au métier en le rendant plus agile, plus intelligent, pour un coût maîtrisé. Le Big Data est au marketing ce que la méthode agile est à l’informatique. Il ne faut pas s’attaquer à de gros projets de plusieurs centaines de milliers d’euros ou – pour certaines entreprises – de plusieurs millions d’euros qui finissent par paralyser l’usage, le cahier des charges étant trop ambitieux. Le Big Data s’aborde par la réalisation de prototypes aussi appelés « Proof of Value » (POV) ; un mode de pensée » test and learn » de type agile. Cela demande d’accepter de faire des erreurs, de ne pas persister sur certaines modélisations décevantes pour concentrer ses moyens sur les plus performantes. Nombreux sont les clients qui expriment l’intérêt de cette démarche en particulier le niveau de sérendipité qu’elle révèle. On découvre par l’interprétation de la donnée des usages insoupçonnés.
Agilité et plasticité qualifient au mieux les architectures Big Data. Les principes généraux sont de récupérer des données hétérogènes via des flux, de consolider la donnée, vérifier l’intégrité en corrigeant les imperfections ou les accidents. On applique ensuite à la donnée une phase de synthèse mathématique qui cartographie la donnée afin de créer des rapprochements et mettre en lumière des événements. Des probabilités permettent de définir le niveau d’opportunité de chaque événement afin d’écarter le bruit.
La technologie doit être transparente dans ce type de projet. Un POV ne doit pas excéder quelques semaines et la complexité informatique, ou mathématique, est l’affaire du prestataire, seuls les « scenarii business » comptent.
Une meilleure compréhension du consommateur
Les principaux usages du Big Data en marketing digital sont l’hyperpersonnalisation des parcours clients ou l’optimisation du churn par la détection et l’adressage des comportements à risque. Les secteurs les plus consommateurs sont les télécommunications, la banque ou le retail. Le Big Data est au service de la compréhension des parcours riches, des nouveaux comportements cross-canaux comme le Web to Store. Le Big Data permet, par exemple, d’adresser les enjeux auxquelles sont confrontés les retailers dans les stratégies de drive to store. Les commerçants constatent une baisse du panier moyen ou des cycles de réassort plus longs. Des applications permettent de proposer des promotions très ciblées valables sur une période courte pour déclencher l’acte d’achat ou du upselling ultraciblé au moment de la récupération des produits en boutiques. Ces outils permettent aussi de calculer à moyen et long terme l’impact des promotions sur la fidélisation ou sur l’offre, l’incidence des soldes flottantes sur la rentabilité, etc.
De nombreux business cases sont publiés sur Internet comme le cas PriceMinister ou le Big Data a joué un rôle important dans la définition de leur stratégie d’e-mailing. Ils avaient d’un côté des offres de déstockage issues de la place de marché (fréquence élevée sur des périodes courtes) et leur base de données marketing de l’autre avec une segmentation traditionnelle. Ils possédaient la conviction que la segmentation – ou l’échantillonnage dans le cadre de pré-tests – était une source d’erreurs et diminuait l’efficacité des opérations d’e-mailing et un taux de churn élevé. Avec une approche Big Data ils ont pu affiner la connaissance de la base et extraire à chaque campagne des cibles plus fines. Ils ont ainsi découvert que les grands-mères aimaient jouer à Pokémon et que les grands-pères n’offraient pas les Pokemons qu’à leurs petits enfants ! Cette approche a multiplié l’efficacité des campagnes par 10 (cibles plus affinitaires) et a limité le désabonnement.
Pour exemple, d’une autre approche, la société Allociné avait une problématique que rencontre aujourd’hui la plupart des médias en ligne, un besoin de revalorisation de l’espace publicitaire et de l’audience commercialisée par la donnée versus la page vue. Pour illustration, 25% de l’audience de Allociné est réalisée sur leurs applications mobiles pour moins de 5% du chiffre d’affaires. Grâce à une approche Big Data, avec plusieurs centaines de millions d’interactions analysées par jour au travers d’une approche cross-media, ils peuvent aujourd’hui adresser des utilisateurs dont les centres d’intérêt sont qualifiés et non uniquement des pages-vues. Grâce à ces nouvelles approches, Allociné commercialise auprès des distributeurs de films des offres leur permettant de juger de l’opportunité commerciale d’un film par pays, région, département ou ville dès le jour de sa sortie pour ainsi gérer le nombre de copies à fournir.