Du 16 au 19 mars, se tiendra le traditionnel Salon du livre à Paris. Cette année, il met à l’honneur la littérature japonaise.
L’occasion de découvrir des auteurs nippons d’aujourd’hui. Mieko Kawakami ne fait pas partie de la sélection. Qu’importe. Elle nous parle du Japon des années 2010.
Les rapports mère-fille peuvent être compliqués, tendres, violents, inexistants… ou le tout à la fois. En plongeant le lecteur dans l’histoire de « Seins et oeufs« , publié en février, l’auteure japonaise Mieko Kawakami nous ouvre les portes de la société contemporaine nippone, vue par le prisme des femmes. Un roman de 108 pages qui nous raconte trois jours au coeur d’une famille aux liens distendus et aux silences trop nombreux.
Diplômée de philosophie, musicienne, actrice et romancière, Mieko Kawakami a été élue « Femme de l’année 2008″ par le magazine Vogue Japan. Elle signe avec « Seins et oeufs« , un livre qui nous parle de la société d’aujourd’hui, de l’importance de l’apparence et du regard d’autrui.
Pendant trois jours, c’est à Tokyo, chez Natsu que l’histoire se déroule. Natsu accueille sa soeur, Makiko, hôtesse dans un bar, quadragénaire perdue depuis le départ du père de sa fille, Midoriko. La jeune fille, elle, est entrée dans l’adolescence. Elle a douze ans, elle découvre les changements de son corps et s’est enfermée dans le silence. Elle ne s’adresse plus que par écrit à sa mère qui vit avec elle à Osaka. Et ne comprend pas cette obsession de sa mère à vouloir se faire refaire les seins.
Entre non-dits et rêves secrets, l’histoire se déroule dans la moiteur de l’été… dans le petit appartement de Natsu, trentenaire célibataire qui essaye de tisser un nouveau lien entre les deux membres de sa famille et de comprendre, elle aussi, l’obstination de sa soeur à vouloir se faire opérer.
L’auteure a fait le choix d’alterner le récit de Natsu et le journal intime de la jeune fille. Une façon de montrer le regard des trois personnages sur la féminité en général et la leur en particulier. Malgré le dialogue rompu.
Extraits
Page 19 : C’est Natsu qui parle de sa soeur. » Je serais plus tranquille si ma soeur avait un vrai travail dans un vrai bureau, c’est sûr, mais la vérité c’est que je ne peux même pas le lui dire. Parce que d’un autre côté je sais. Je sais tout le reste, oui, et plus j’y pense, plus toute cette pesanteur, cet ennui, une mère seule avec sa fille, à Osaka, rien que ces mots, rien que ces sons, ces images, toutes ces ténèbres mornes que je sens en permanence derrière mon dos, toutes ces choses pénibles qui se rémènent et ne se laissent pas chasser d’un revers de manche, toutes ces pensées moites qui viennent peser sur ma poitrine et sur mes yeux… »
Page 30 : C’est la jeune Midoriko qui parle. « Moi, mon corps a faim, il a les cycles hormonaux, il fonctionne sans que je lui demande rien et ça me donne l’impressionn d’être enfermée dedans. Pour la simple raison qu’onnest née, en fin de compte il faut vivre, manger tout le temps et gagner sa vie, rien que ça c’est l’horreur.Je la vois bien, maman, elle travaille tous les jours et sa vie est quand même dure. C’est déjà assez dur comme ça pour une seule, et en plus il faudrait faire sortir un autre corps de son corps? »
Page 47 : « Je n’ai évidemment aucune attirance particulière pour la nudité de Makiko, mais avec ses histoires de gros seins par-ci gros seins par-là, comment me retenir de vouloir vérifier l’existence, – ou l’inexistence, je ne sais plus trop comment il faut dire –, de ses fameux nichons. M’est avis que c’est même une interrogation que nous partageons sûrement toutes deux. Quand nous sommes-nous vues nues pour la dernière fois ? A l’époque où nous habitions ensemble, Mkiko, Midoriko et moi, pendant les six ans qui ont suivi la séparation de Makiko, les occasions ne devaient pas manquer, mais comme nous allions rarement au bain public et que nos emplois du temps étaient décalés, à vrai dire je n’ai aucun souvenir concert sur le sujet. Alors bien sûr j’ai regardé discrètement Makiko se déshabiller et mettre ses vêtements en boule dans son casier. »
Mon avis
Au final, un court roman qui en dit long sur la société nippone d’aujourd’hui, confrontée comme notre vieille Europe aux questions de l’apparence, de ce que notre image dit (ou pas) de nous-mêmes. Un roman moderne, qui nous parle de nous à travers le portrait sans concession des trois personnages. Dans la grande mégapole, pourtant, tout pourra recommencer… A découvrir ( aussi pour sa couverture, assez étonnante ).
« Seins et oeufs », de Mieko Kawakami, Actes sud, 13,50€.