Il y a plusieurs mois, au moment de la Toussaint, nous avions abordé la mort, et le deuil à travers le livre « Veuf » de Jean-Louis Fournier.
Autre manière d’aborder le thème de la camarde avec Valérie Mréjen, cinéaste et romancière, que j’avais découvert il y a déjà quelques années avec ses courts livres parus chez Allia : « Mon grand-père », « L’agrume » et « Eau sauvage ».
Valérie Mréjen, née en 1969 est une romancière, une plasticienne et une vidéaste française. Elle effectue ses études à l’École nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise. Elle produit ses premières vidéos en 1997. Elle a été pensionnaire de la Villa Médicis en 2002-2003.
L’auteure nous livre avec « Forêt noire« , un roman à ne pas mettre entre toutes les mains. On y parle de la mort. Brutale. Tragique. Celle qui fauche, celle que l’on se choisit, qui noie, qui détruit, qui atomise et laisse les vivants en plein questionnement.
Au final, le lecteur se retrouve dans une forêt pleine de trajectoires brisées, de fantômes et de revenants comme cette femme qui s’en finit pas de se promener dans les rues de Paris.
Au fil des 124 pages, des histoires, des saynètes, des drames se déroulent. Autant d’histoires que l’auteure a entendu, lu. Valérie Mréjen a écrit ce texte en se référant aussi à la série Six Feet Under, à laquelle elle fait d’ailleurs référence à la page 75 et aussi à une phrase de l’écrivaine française Mireille Havet dans son journal de 1918 : « … et je suis pleine de morts comme une crypte, pleine de souvenirs et de rêves… »
Autant de façons de montrer que la relation avec la personne disparue ou son fantôme est possible. Une façon pour Valérie Mréjen de se livrer davantage aussi. Elle parle ainsi de sa mère, de choses intimes et ce de manière moins voilée que dans ses précédents romans.
Elle explique sa démarche dans cette vidéo :
Extraits
Page 39-40: « Je pourrais commencer ainsi, et cette histoire serait après tout une façon d’entamer la conversation, de trouver qu’en effet le ciel aurait pu attendre un peu plus, que c’est dommage d’être partir si tôt. J’essaierais de prononcer une phrase, par exemple tu m’as manqué, mais l’expression ne serait pas appropriée car c’est une formule de tous les jours. Et puis les mots resteraient coincés dans les profondeurs sans pouvoir émerger, prisonniers des cordes vocales soudainement raidies et gonflées, exsudant une humeur amère là où un noeud se forme avec une régularité fluctuante lorsqu’il m’arrive de dire ma mère.«
Page 60 : « […] Dans l’entourage de son nouvel ami, on se demande comment se rendre utile, quels mots consolants prononcer, quelle dérisoire brindille ajouter au barrage qu’on aimerait bien contribuer à bâtir en vain pourtant contre un raz de marée de tristesse dont la puissance nous échappe forcément : rien d’autre à faire sans doute que d’envoyer sporadiquement des signes de présence en espérant que cette douleur finisse avec le temps par s’estomper et lui laisse un peu de répit ».
Page 117-118 : « Un homme qui aimait à se parfumer à l’essence de figuier avait un jour écrit que le plus beau jour de sa vie était peut-être passé. La notion de plus beau jour était pour la femme de bientôt quarante-deux ans un grand mystère. Cette réussite mémorable et exceptionnelle confinant au chef-d’oeuvre et qui était censée se dérouler dans la grâce du matin au soir pour illuminer par la suite des périodes plus maussades, est-ce que cela arrivait réellement ? «
Mon avis
Empoisonnement, défenestration, maladies foudroyantes, accident de la route… tout y passe. Avec une précision clinique, l’auteure nous entraîne sur les traces de vie brutalement interrompues. Histoire de nous rappeler que la mort fait partie de la vie et qu’il faut apprendre à gérer le manque, l’absence. Tout en sachant qu’on peut également choisir de vivre avec ses fantômes. C’est selon. Le rythme est haletant. Comme les battements du coeur. Comme la vie. Et Valérie Mréjen continue à alimenter son univers. Atypique et attachant. A lire donc !
« Forêt noire », de Valérie Mréjen, P.O.L., 10€.