Roblès 2013
Poursuivons notre lecture des six premiers romans sélectionnés pour le prix Roblès 2013.
Après « Viviane Elisabeth Fauville » et « L’angle mort » dont vous pouvez lire mes posts ici et là, j’ai opté pour « Un homme effacé » d’Alexandre Postel. Bonne pioche ! Et véritable bonne surprise de la sélection.
Le premier roman de cet enseignant en littérature parisien, né en 1982, est plus que prometteur. Il a remporté le prix Landerneau Découvertes et, il y a quelques semaines le Goncourt du premier roman, et ce, avec une large majorité.
L’histoire ? Elle est simple et tragique. C’est celle de Damien North, professeur de philosophie à l’université. Veuf depuis 12 ans – son épouse, artiste peintre s’est suicidée – North, petit-fils d’une figure politique historique mène une vie simple, triste et sans fantaisie.
Un jour, des policiers frappent à sa porte. Ils trouvent sur son ordinateur des images pédopornographiques. Damien North sait qu’il est innocent mais la machine s’emballe. Un véritable engrenage. Jusqu’au procès au cours duquel son avocat lui demande de plaider coupable, la prison où il fréquente un véritable pédophile. Damien North ne s’est pas défendu. Forcément coupable, donc.
Une lettre l’innocente mais comment un soi-disant monstre peut-il se transformer en victime ? Et s’il était vraiment coupable ? Autour de lui, ses collègues, son frère, ses voisins et plus largement la société se laissent prendre au piège. Dans un sens, puis dans l’autre. Au fil des images désormais retouchées à jamais de la vie d’un homme. Damien North s’éloigne, se coupe de toute vie sociale. Assez de signes pour prouver sa culpabilité, non ?
A travers ce roman brillant, composé en deux parties ( « les jours atroces », « les jours féroces »), le jeune auteur démontre toute l’importance des images dans notre société. Des conventions sociales aussi. Il se penche aussi sur le regard qu’on porte sur un homme (a priori) blanchi. Mais à quel prix ? Avec quelles traces indélébiles ?
Dans la vidéo ici, Alexandre Postel explique sa démarche
http://vimeo.com/60635177Extraits
Page 47 : « Depuis la mort de Sylvia, il était entré, comme on le dit des arbres, en dormance. La caresse, l’étreinte d’un autre corps, dont le besoin s’était parfois fait sentir au commencement de ce long sommeil, se présentaient maintenant à sa mémoire dans le silence enlisé des images qui surnagent d’un rêve. A peine se définissait-il encore, lorsqu’il songeait à ces choses-là, comme un être sexué. Il se flattait d’être parvenu, à force de tristesse, d’ascèse et d’oubli, à une sorte de neutralité impalpable et supérieure. »
Page 93 :« -… une grande solitude émotionnelle et sociale… un homme peu expansif, difficile à approcher, qui consacre le plus clair de son temps à son travail… une certaine rigidité inscrite dans sa structure mentale…
Et voilà que le gouffre s’approfondissait, s’élargissait, sous les coups de pioche du docteur. Pourquoi le dépeindre sous un jour si sombre ? Leurs entretiens ne s’étaient pas mal déroulés pourtant. Lafaye ne lui avait pas paru particulièrement hostile. Au contraire : d’une neutralité presque déroutante. Alors quoi ? Fallait-il en conclure que le psychiatre disait la vérité ? Etait-ce cela, Damien North ? Un homme peu expansif, difficile à approcher, une structure mentale rigide ? Rien que cela ? Il en avait le coeur serré. »
Pages 198-199 :« […] Sur internet, les réseaux sociaux pullulaient de groupes à sa gloire ; plusieurs sites à vocation citoyenne voyaient dans sa mésaventure le parfait exemple des excès où conduit une politique sensationnaliste et répressive. Parfois aussi, à la manière de ses vanités – crâne, compas, sablier, citron – dont les maîtres d’antan ornaient quelque recoin de leurs toiles, le hasard des algorithmes plaçait parmi les résultats un des articles parus au moment du procès, lorsqu’on le traînait dans la boue. Biasini l’avait prévenu : internet n’oubliait rien.
Ces gratifications dérisoires, ces attentions minuscules heurtaient North plus qu’elles ne le touchaient, car il ne pouvait s’empêcher d’attendre de la part des autres une réparation qu’ils étaient incapables de lui donner. Et plus le temps passait, plus sa frustation s’intensifiait. La colère qui s’était déclarée dans la voiture de Biasini s’étendait, faute de pouvoir s’exprimer, à la terre entière. North s’endormait dessus chaque soir. Elle lui dévorait le coeur. »
Mon avis
Le premier roman d’Alexandre Postel remportera-t-il le prix Roblès 2013 ? A ce stade de mes lectures, j’avoue que « Un homme effacé » se présente plutôt bien dans mon classement. A cela, plusieurs raisons. Le sujet d’abord. Evoquer l’internet par le biais d’un fait-divers en dit long sur notre société, notre environnement. Son personnage ensuite. Damien North agace avant de créer une empathie à son encontre. Il parle de nous. De nos contradictions, de nos silences coupables, de nos renoncements. Son style enfin. Ce premier roman est plein de suspense et dispose de plusieurs niveaux de lecture. Un régal !
« Un homme effacé », d’Alexandre Postel, Gallimard, 17,90€.