Rentrée littéraire
Les romans de cette rentrée littéraire sont décidément bien riches d’histoires et de surprises. La preuve avec Jean Hatzfeld. Le romancier et ancien reporter de guerre est de retour.
Après nous avoir fait suivre le parcours épatant de Ayanleh Makeda, légende des hauts plateaux dans son précédent roman « Où en est la nuit » il nous fait vivre cette fois la guerre en ex-Yougoslavie avec « Robert Mitchum ne revient pas ». Drôle de titre, non ? Robert Mitchum est ici le nom porté par le chien…
Jean Hatzfeld, je l’ai découvert par ses écrits à propos du génocide au Rwanda. Des livres forts, poignants. Avant d’être grand reporter, Jean Hatzfeld a été journaliste sportif. Dans « Robert Mitchum ne revient pas », il peut évoquer deux pans de sa vie professionnelle.
Vingt ans après la guerre en ex-Yougoslavie, Jean Hatzfeld est retourné sur les lieux. L’histoire de son roman ? C’est celle de Marija et Vahidin. Ils sont jeunes, s’aiment et s’entraînent pour les Jeux Olympiques qui, en 1992, sont programmés à Barcelone. Tous les deux sont champions de tir à la carabine. Tous les deux sont bosniaques, mais elle est serbe, son amant, lui, est musulman.
Ils vivent chez leurs parents dans la banlieue de Sarajevo, à Ilidza. Mais au moment du siège de la capitale, tout change. Marija ne peut pas rentrer chez elle. Les deux amants sont séparés par la guerre. Ils ne se retrouveront que des bien des années plus tard, aux JO de Sydney.
Bien vite, leurs qualités de tireurs vont être exploitées, marchandées. Chacun dans son camp. Sans pouvoir dire non. Pour garder un appartement, un chien, un semblant de vie d’avant…
Dans une ville qu’ils connaissent par coeur, ils deviendront snipers. Et si Marija poursuit son entraînement en vue des JO, Vahidin a tourné la page.
Un attentat contre une diva américaine venue prôner la paix va pourtant tout faire basculer à nouveau dans leurs destins respectifs. Marija est accusée d’avoir tiré. Elle n’a pourtant rien fait…
Au fil des pages, nous plongeons dans le quotidien de cette guerre civile, dans sa complexité qui abîme tout le monde. Les deux personnages tombent dans un engrenage, sans pouvoir tirer les fils… Une véritable tragédie qui se déroule en présence des médias et notamment de trois journalistes français.
Ecoutez ici Jean Hatzfeld parler de son roman
Extraits
Page 37 :« Marija retourna chez elle. A cette heure, elle aurait dû retrouver Vahidin à leur café près du Klub avant de se rendre à l’entraînement, pour en parler et du stage. Ils se montraient intarissables dès qu’ils parlaient des Jeux qui les attendaient fin juillet, leurs premiers Jeux, à Barcelone. Ils se savaient de vraies chances, ils espéraient tant l’un pour l’autre qu’ils s’impliquaient dans leur préparation avec un enthousiasme amoureux. Marija se dit que Vahidin devait songer à la même chose en ce moment, à Sarajevo, sauf s’il était trop préoccupé.
Soudain, elle eut peur pour lui. Elle le savait cacou, jamais chiche d’une provocation. Ca le dopait en compétition, surtout lors des dernières séries d’une finale, quand la fébrilité gagnait ses adversaires. Mais hier, à la tombée de la nuit, qu’avait-il pu se passer face à des miliciens ? Elle se mit à l’imaginer en danger. »
Pages 134-135 :« Le capitaine Miro l’attendait. Il se montra irascible, s’affala sur une chaise et vida trois verres à la suite. Marija se demanda s’il oserait poser ses bottes sur la table.
– Quelle nouvelle ? demanda-t-elle.
– On contrôle. Il n’y a plus qu’à en finir avec Sarajevo avant que les Américains ou les Iraniens ne les arment en lourd.
– Vous voulez prendre la ville ?
– Ne t’en mêle pas.
– Je voudrais vous demander. Ces rumeurs. A la BBC, ils parlent de centaines de femmes violées pendant des jours et des jours à Foca, à Visegrad, même Grbavica est évoqué. Des autocars entiers de femmes arrivent de là-bas? Vous avez écouté ? Qu’es-ce que vous savez là-dessus ?
– Marija, la politique est sale, ce n’est pas nouveau. Les Musulmans sont sales, quoi que tu en penses. Les journalistes sont crasseux. Tu voudrais que nous les Serbes fassions une guerre nickel chrome ? »
Page 169 : « Soudain, elle entendit le cri d’un moteur. D’un geste sec, elle cala la crosse contre son épaule, amena la détente au contact, aspira une bouffée d’air. Elle capta dans sa lunette la forme noire d’une carrosserie. Le phare rouge d’un imprudent coup de frein l’aida à visser sa mire sur le pare-brise. Elle tira, une seule balle. La voiture disparut trop vite derrière les immeubles pour qu’elle puisse discerner une modification de sa trajectoire. Mais elle sut avec certitude qu’elle avait atteint la vitre au niveau de la tête d’un éventuel passager à côté du conducteur. Elle posa le fusil et attrapa un paquet de bonbons. Les flocons blanchissaient la nuit et les trottoirs. Elle eut la flemme de reprendre, la neige l’attira dehors. »
Mon avis
Voilà un très bon roman, ancré dans la réalité de la guerre. On tourne les pages d’une histoire d’amour compromise, on voit s’effilocher les rêves de médaille et de vie meilleure. On y découvre aussi la réalité d’une ville prise d’assaut par des snipers. Encore bravo Monsieur Hatzfeld !
« Robert Mitchum en revient pas », Jean Hatzfeld, Gallimard, 17,90€.