Une histoire dépaysante à plus d’un titre. Voilà ce que je vous propose en vous faisant découvrir « La confrérie des moines volants », dernier roman en date de Metin Arditi, paru pour cette rentrée littéraire, à la fin de l’été.
Ce dernier nous propose un voyage dans le temps et dans la Russie d’antan.
Autre univers et autre contrée que le dernier roman de cet auteur né à Ankara dont j’avais parlé ici. Metin Arditi vit à Genève. Ingénieur en génie atomique, il a enseigné à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Edité pendant des années chez Actes Sud, il signe chez Grasset un roman érudit qui se déroule sur plusieurs générations.
L’histoire ? C’est celle de Nikodime, un ermite. Avec une poignée de vagabonds, ce dernier va tenter de sauver les plus beaux trésors de l’art sacré orthodoxe alors pillé par le régime soviétique. Nous sommes en 1937 et la Confrérie des moines volants vient de naître. Tous ont des choses à cacher, doivent se faire oublier. Nikodime le premier. Et la jeune Irina le plonge à nouveau dans la souffrance. Il s’inflige des supplices quotidiens tout en dirigeant sa troupe hétéroclite d’une main ferme. Pour la cause de Dieu.
Plusieurs décennies plus tard, l’histoire que l’on croyait oubliée rebondit dans la vie de Mathias, photographe talentueux qui va (re)découvrir l’histoire de son propre père qui peignait des icônes et celle de son grand-mère, Irina. Enceinte,celle-ci avait fui le régime soviétique, traversé l’Europe pour venir se réfugier en France. Avec elle, le fruit d’un amour impossible… et un lourd secret.
Ecrit sous la forme d’un journal de bord, le roman de Metin Arditi plonge le lecteur dans deux périodes, à plusieurs décennies d’intervalle. Un écart dans le temps qui s’accompagne d’une faiblesse dans le style, ou du moins dans le rythme.
Découvrez ici une émission de radio consacrée à l’auteur et à son ouvrage
Extraits
Page 72 :« Lundi 17 octobre 1937
Il pleuvait depuis quatre jours, et le Calvaire était boueux autant qu’il pouvait l’être. Mais Nikodime ne s’en plaignait pas. Chaque deux pas, il se retournait content que la boue et les glissades lui donnent l’occasion de regarder vers l’arrière, là où six jours plus tôt il avait aperçu le couple de paysans.
Le souvenir d’Irina ne le lâchait pas. De jour, qu’il gravisse le Calvaire ou qu’il serve l’autel, il pensait à elle cesse, plongé dans un immense mépris de soi. La nuit, elle hantait ses rêves, tantôt aguicheuse, la poitrine en avant, tantôt défiante, les yeux dans les siens. Et il se retrouvait chaque fois englué dans un mélange de désir et de honte. »
Page 123 : « L’entraînement des frères se déroulait à merveille. Serghey l’avait aidé à couper d’un mélèze une bille de quarante livres. Iossif la faisait soulever, d’abord par séries de trois, puis de cinq, puis de dix. Il enseignait aussi les arts de la corde, l’ascension et les descentes en rappel.
Plus que la force, c’était leur capacité de traction que les frères devaient développer. Iossif avait choisi une branche de sapin très solide située à deux mètres du sol, et ils devaient s’y hisser à la force des bras, d’abord une fois, puis trois, cinq, jusqu’à quinze. Ils s’y essayaient à tour de rôle durant toute la journée, autant que la liturgie et les obligations sacrées pouvaient leur en laisser le loisir. »
Page 211 :« Lorsque les choses sont douloureuses, on les enfouit… Votre histoire me met face à ma propre réalité. Passons… Un jour de mai 1938, mon père nous raconte l’arrivée rue Daru d’une petite Russe lumineuse, combative, un bijou de fille. Je me souviens du mot utilisé par père. Zviozdotchka. Une étoile. La fille annonce qu’elle possède un document dont elle dit à Eulage et à mon père qu’elle souhaite le leur confier. Eulage ne voulut pas même savoir ce que contenait ce document. Les envoyés de la NKVD étaient partout où se trouvaient nos émigrés. Donc la jeune femme repart avec son cahier… Pour tout vous dire, je pensais que ce cahier avait disparu. Qu’elle l’avait détruit, pour se protéger. Je l’aurais comprise. Car le document que vous m’avez apporté est pour l’histoire de notre Russie d’une portée inestimable […] »
Mon avis
Voilà un roman intéressant même s’il est malaisé dans un premier temps de sauter d’une époque à l’autre. A première vue, en effet, la deuxième partie, celle des années 2000, est plus brouillonne que la première. Ce détail dépassé, voilà un roman dépaysant et bien écrit.
« La confrérie des moines volants », Metin Arditi, Grasset, 19€.