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Un p’tite virée dans la forêt guyanaise pour les fêtes de fin d’année ? Non ?! Vous ne savez pas à côté de quoi vous passez. Pour y avoir vécu et travaillé, je peux vous dire que la Guyane est un département d’outre-mer épatant, éprouvant. Et (très) sauvage.

livre-asparagusNon, ce n’est pas une île. Oui, le bagne a été fermé. Au final, ça ressemble un peu au Far-West, en mode tropical. Un régal ! Comme je vois que vous n’avez toujours pas fait votre sac à dos, je vous propose de découvrir un peu ce bout de terre française à travers le roman de Fred Léal, « Asparagus ». 

Fred Léal est médecin, dans le Sud-Ouest. La Guyane, il connaît. Il a passé des mois durant son service militaire. De quoi lui inspirer plusieurs récits, dont « Selva ! », qui raconte cette période. Avec « Asparagus », il se sert de cette matière pour faire vivre son premier roman. Pas banal.

L’histoire ? C’est celle de Rod Loyal ( surnommé Toc ) qui effectue son service militaire chez les légionnaires, en Guyane. Le jeune étudiant en médecine rencontre alors Charlie (Jean-Charles Hérisson, surnommé Asparagus, l’Asperge), véto et médecin, au RIMA. Les deux hommes sympathisent. Deviennent amis mais les drames s’enchaînent au coeur de la forêt.

Une vie de garnison entre ennui, environnement hostile et missions souvent ridicules. Le tout chapeauté par une hiérarchie souvent incompétente et négligente. Dans la Légion, les règles ne sont pas tout à fait les mêmes qu’ailleurs… On y oublie son passé. On s’y invente un présent.

Pour résister, il y a les filles, l’alcool et le cinéma de Kourou. Pas de quoi pavoiser !  Mais Toc et Charlie s’en accommodent. L’infection contractée par Charlie va tout remettre en cause. Toute comme une hallucinante tuerie entre légionnaires.

Le constat social et ethnographique est édifiant. Mais juste. Et l’auteur en utilisant le principe de l’autofiction a décidé de s’amuser avec l’écriture. Typographie et présentation se jouent des conventions au fil des pages.

 

Dans cette vidéo, Fred Léal raconte la génèse de son roman

Extraits

Pages 66-67 :« Quand il ne prêt pas main-forte aux stups avec leurs clebs, l’essentiel de son emploi du temps consiste à remonter le Maroni, tantôt avec ses ouailles de la Marine (pour des pseudo-missions telles que les légionnaires en raffolent, en général des missions de maintenance pour resserrer les troupes), tantôt pour accompagner les gendarmes dans leurs missions de proximité auprès des Indiens – mandat dont ils s’acquittent fort honnêtement du reste. Que du bonheur, au fond, car cette vie (qui n’a pas grand-chose de “militaire”) lui procure d’innombrables rencontres avec une multitude d’être vivaces – dans la définition élargie, ouverte, que Charlie donne à ce terme – parmi ces paysages merveilleux sans cesse renouvelés…

Sauf que l’Asperge, loin de partager cet optimisme, ne cache pas son affliction devant la pauvreté des habitants du fleuve, les ravages causés sur leur santé par les nombreux toxiques qu’ils ingèrent ou qui polluent l’eau, le manque patent d’avenir dilué dans la gnôle, les dettes, l’asservissement à notre joug – glourp ! « 

Page 93 :« Incomparables machines à fantasmes que les Territoires d’outre-mer… Le sable des plages y est plus fin, plus chaud que la plus dorée des criques de la Méditerranée. On y goûte des fruits à la suavité incomparable. Et ce n’est même pas la peine d’évoquer la peau des femmes – plus onctueuse tu meurs – ou, mieux, leur libido à vous défriser un barbelé. Le tout est de ne jamais se risquer à acheter un billet d’avion pour confronter ses chimères au principe de réalité. Non pas que la profondeur des paysages ou la sensualité des autochtones soient inférieures aux rêves qu’ils ont inspirés. Mais, ne poussons pas mémé dans les orties… La baudruche finit toujours par éclater dans son ciel idoine comme une vulgaire bulle de savon. »

Page 133 : « Officiellement, l’aspirant Jean-Charles Hérisson est mort des suites d’une histoplasmose – une forme de pneumonie particulièrement redoutable, aucun antibiotique usuel n’étant actif contre Hispoplasma capsulatum pour la bonne raison qu’il s’agit d’un champignon.

La période d’incubation et le mode de contamination m’innocentaient : Charlie n’avait pas pu choper cette saloperie au cours de la mortelle randonnée à laquelle je l’avais si chaudement convié.

J’apprendrai son décès deux mois après mon retour en métropole, en avril 1996, tandis que j’achève mon service au 27e bataillon de chasseurs alpins.

Le nom d’histoplasmose n’est apparu qu’à ce moment-là, bien trop tard, alors qu’un diagnostic précoce eût sans doute permis à l’amphotéricine d’agir pleinement. Je me souviens m’être frappé le front du plat de la main, comme l’ont sans doute fait les médecins de Cayenne, dépités d’avoir laissé échapper le diagnostic. »

Mon avis

Voilà un roman qui a remué des souvenirs ! Le roman de Fred Léal est atypique, drôle, mordant et tragique à la fois. Assez de raisons pour le lire, croyez-moi. Dans le fond comme dans la forme, un roman à dévorer avant de se faire manger dans la faune hostile guyanaise. Mais non, j’rigole !

« Asparagus », de Fred Léal, P.O.L., 15€.

 

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