Sélection prix Roblès 2014
Le rendez-vous littéraire du printemps en Loir-et-Cher est de retour ! Le prix Emmanuel-Roblès sera remis le 13 juin prochain, à Blois. Cette année encore, avec plusieurs de mes collègues des rédactions du Loir-et-Cher, nous allons nous plonger dans la sélection pour élire le premier roman qui, le plus, mérite nos encouragements.
Quid de la sélection 2014 ?
> « Sauf les fleurs », Nicolas Clément, éditions Buchet Chastel
> « Le miel », Slobodan Despot, Gallimard
> « Là où la terre est rouge », Thomas Dietrich, Albin Michel
> « En finir avec Eddy Bellegueule », Edouard Louis, Seuil
> « La fabrique du monde », Sophie Van Der Linden, Buchet Chastel
> « Arden », Frédéric Verger, Gallimard
Le premier roman d’Edouard Louis existe déjà sur ce blog, vous le trouverez ici. Passons donc à un autre roman retenu, « Arden », de Frédéric Verger. Ce roman, le premier écrit par cet agrégé de lettres, professeur dans un lycée de région parisienne, a remporté le Goncourt du 1er roman 2014. Une consolation pour avoir été écarté, in fine au douzième tour, du prix Goncourt ? Allez savoir. L’auteur a, depuis, également remporté, le prix Thyde Monnier et le prix Mémoire Albert-Cohen.
L’histoire ? Elle est touffue. Et s’étend sur 477 pages denses. Nous sommes en Marsovie, un royaume imaginaire. Nous sommes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Déjà en 1944. A Arden, aux portes de la forêt, Alexandre de Rocoule tient un hôtel de luxe. A la ville, son ami Salomon Lengyel, un tailleur veuf de confession juive, survit dans sa petite boutique. Ensemble, les deux hommes écrivent des opérettes depuis 1917 sans jamais pourtant se mettre d’accord sur les scènes finales. Leurs oeuvres demeurent inachevées…
L’histoire ? C’est celle de ces deux hommes, mais aussi de la femme du premier, de la fille du second dont Alexandre de Roucoule tombe amoureux, de musiciens perdus, d’officiers allemands, etc.
Deux univers se télescopent. Celui, léger, des opérettes et des musiques légères. Et l’autre, qui a fait monter l’antisémitisme et se rapprocher la guerre. Entre eux, une étrange histoire de feuilleton radiophonique pour mieux cacher, espèrent-ils, la belle Esther, son père et des musiciens en fuite.
Extraits
Page 33 : « A La princesse aux trois manies, il manquait un ou deux airs marquants, l’intrigue secondaire de La fausse noyée n’était encore qu’imparfaitement tricotée, la fin de Loth s’amuse demeurait incertaine.
Et au lieu d’en prendre une à bras-le-corps pour l’achever une fois pour toutes, ils ne pouvaient s’empêcher de rêver – mon oncle allongé sur le tapis de son bureau, Salomon sur une minuscule sofa vert – au canevas d’un nouvel ouvrage avant de se relever soudain pour en dresser le plan général, arpentant la pièce à grandes enjambées sans se voir ni se heurter, à la manière des chauve-souris.
Mais cette oeuvre nouvelle finissait tôt ou tard comme les autres, semblable à ces villégiatures dont on a élevé rapidement les murs mais qu’on ne peut finir. On les voit du chemin, qui commencent à se délabrer, mausolées d’espérance devant lesquels les propriétaires préfèrent ne plus repasser alors qu’ils avaient choisi de les édifier à l’endroit le plus charmant de leur promenade favorite.
A combien de silhouettes cocasses ou pathétiques, encore mouvantes dans ces ruines d’ouvrages jamais terminés, n’osaient-ils plus repenser ! Parfois, au détour d’une rêverie, il leur semblait tout à coup entendre une voix plaintive qu’ils s’efforçaient de chasser, craignant de se rappeler l’enthousiasme qui les avait saisis jadis, et s’était enfui Dieu sait où. »
Pages 144-145 : « […] Cette intervention accabla la population. S’évanouissait le rêve que nourrissaient les Marsoviens depuis quelques mois : celui d’une entente secrète entre le roi et les Russes, un petit tour de passe-passe Hohenzollern. Mais maintenant il apparaissait clairement que la principauté serait défendue par les Allemands et les que les horreurs de la guerre viendraient se vautrer dans les draps blancs de Marsovie. Alors, en plus de la peur, parfois même davantage qu’elle, beaucoup de Marsoviens éprouvaient un sentiment de rage et d’humiliation comparable à celui d’un homme qu’on force à endosser un costume grotesque et trop large pour lui, et des larmes de fureur leur montaient aux yeux. »
Page 373 : « Comme ils ne savaient pas trop s’ils pleuraient de joie ou de terreur, ils s’entre-regardaient pour en avoir le coeur net. En voyant leurs têtes ils riaient de plus belle. Côte à côte au milieu de la table, seuls les deux frères Abramowicz conservaient le plus grand calme : Elie, les yeux levés, avait toujours sur les lèvres son petit sourire mystérieux ; Louchka, la tempe posée sur le poing, paraissait juger avec une lucidité professionnelle son interprétation. Salomon ne pouvait s’empêcher de trouver l’ensemble plutôt entraînant mais cette impression ne le rassurait pas : tantôt il se disait que ce charme n’existait que pour lui et mon oncle, le parfum éventé d’un pot-pourri de leurs vies. Tantôt l’aspect comique, et même bouffon, de la pièce, ses accents klezmers, lui semblaient la fanfare-prélude d’une marche au sacrifice. Au fur et à mesure que le père se recroquevillait dans son fauteuil, le sourire s’épanouissait sur le visage de la fille. »
Mon avis
Ce roman, je l’avais reçu lors de la rentrée littéraire de septembre dernier. Je l’avais commencé avant d’abandonner. Retenu pour le prix Roblès, j’ai repris mon courage à deux mains et je suis allée jusqu’à la dernière page. Sans plaisir cependant. Les descriptions sont si longues et si nombreuses que l’intrigue en pâtit. Et j’avoue ne pas être entrée dans l’histoire. Dommage car Frédéric Verger a véritablement une belle plume.
« Arden », de Frédéric Verger, Gallimard, 21,50€.