Un homme. Un destin. Et, des années après, un écrivain pour raconter ce que trop de gens n’ont pas vouloir voir et entendre. L’homme, c’est Jacques Lusseyran. Son destin ? Celui d’un enfant qui, devenu accidentellement aveugle à 8 ans, sera un grand résistant, déporté à Buchenwald puis professeur apprécié aux Etats-Unis, son handicap lui interdisait d’enseigner en France jusqu’à la fin des années 50.
L’écrivain ? C’est Jérôme Garcin. Le « patron » du Masque et la Plume ( chaque dimanche à 20h sur France Inter), journaliste au Nouvel Obs est aussi « un passeur » comme il me l’a expliqué ce jeudi, lors d’une interview. Avec « Le voyant », il signe la biographie d’un homme… extraordinaire.
Un homme que l’Histoire a oublié. Trop brillant, trop différent. Jérôme Garcin s’est employé, après avoir eu accès aux archives personnelles de Jacques Lusseyran, a remettre cet homme dans la lumière. Pour longtemps. Déjà des producteurs se disputent les droits pour le cinéma et enfin, une plaque honorifique va être posée à Paris, où l’homme a grandi et s’est battu avec ses armes à lui, avant d’être arrêté par la Gestapo.
Jérôme Garcin nous emmène avec lui dans la vie de Jacques Lusseyran, de la naissance à la mort, dans un accident de voiture sur une petite route de France empruntée au hasard d’un séjour de vacances. Il a 47 ans et une légende naît. Du moins de l’autre côté de l’Atlantique où l’homme a, depuis des années déjà, acquis le statut de héros, « the Blind Hero of the French Resistance ».
Un portrait qui n’occulte pas la part d’ombre d’un homme que la vie de famille n’aura pas rendu très heureux. L’auteur ne cachera pas, non plus, l’admiration de Lusseyran pour un gourou, Bonnet dit Georges Saint-Bonnet.
Pas d’hagiographie donc mais un portrait tout en nuances pour mieux cerner cet homme habité par une force et une foi en l’homme épatantes.
« Jacques Lusseyran a su réagir et inverser le cours des tragédies. Un type pareil, je ne pensais pas le rencontrer un jour « , m’expliquait encore Jérôme Garcin.
Extraits
Page 17 : « […] Car il rendait grâce au ciel qui, en le privant de l’essentiel, lui avait fait approcher une vérité plus essentielle encore. Il l’exposait ainsi : “La découverte fondamentale, je l’ai faite dix jours à peine après l’accident qui m’avait rendu aveugle. Elle me laisse encore ébloui. Je ne peux l’exprimer qu’en termes très directs et très forts : j’avais perdu mes deux yeux, je ne voyais plus la lumière du monde, et la lumière était toujours là. Imaginez ce que cette surprise a pu être pour un petit garçon de moins de huit ans. C’est vrai, la lumière, je ne la voyais plus hors de moi, sur les choses, mélangée aux choses et jouant avec elles ; et tout le monde autour de moi était convaincu que je l’avais à jamais perdue. Mais je la retrouvais ailleurs. Je la retrouvais au-dedans de moi et, ô merveille !, elle était intacte.” »
Page 84 : « Il ne voyait plus depuis ses huit ans, mais c’est à Fresnes qu’il est vraiment devenu aveugle. Même son puissant regard intérieur ne pouvait pas traverser l’épaisse muraille d’une geôle. Soudain, il n’y avait plus de lumière au fond de lui. Et bientôt, dans un camp de concentration, il verrait ce que son regard sans vie lui avait jusqu’alors épargné : le repoussant spectacle de la laideur des hommes. »
Page 94 : « “Je ne vais pas vous montrer Buchenwald”, écrit le prisonnier sans yeux, laissant ainsi accroire qu’il aurait, s’il l’avait voulu, la faculté de représenter la géhenne où il fut plongé. Mais, après avoir bien réfléchi, il a fait un choix qui n’est pas sans évoquer une version tragique du mot fameux de Bartleby : “I would prefer not to…”
En somme, il doit à son infirmité un supplément de dignité. Ne pas voir oblige. On n’a jamais mieux touché du doigt l’horreur concentrationnaire qu’à travers le regard mort d’un vivant d’à peine vingt ans. »
Mon avis
J’avais déjà beaucoup aimé son précédent livre, le roman « Bleus Horizons » dont vous pouvez trouver trace ici. Je connaissais donc l’art de raconter des histoires de Jérôme Garcin, tout en finesse et sensibilité. J’ai dévoré « Le voyant » en un petit après-midi, fascinée par le destin de Jacques Lusseyran, sous le charme du style de Garcin. A découvrir absolument !
« Le voyant », Jérôme Garcin, Gallimard, 17,50€.
en fait ce qui’il faut lire… c’est Jacques Lusseyran.